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les mit en déroute après deux ou trois décharges. Quelques blessés du côté des insurgés, pas un seul du côté de la police, et l’insurrection irlandaise de 1848 fut terminée. Peu de jours après, Smith O’Brien fut arrêté à la station de Thurles au moment où il prenait tranquillement un billet de chemin de fer pour Limerick, Ce conspirateur peu dangereux ne fit pas l’ombre de résistance. Il n’avait d’ailleurs pour toute arme qu’un pistolet de salon dans la poche de son gilet. Les autres chefs du mouvement, Meagher, Leyne, O’Donoghue, furent arrêtés le 12 août. Ils furent tous renvoyés devant la commission spéciale instituée pour juger les auteurs de l’insurrection dans le sud de l’Irlande. Insurrection était peut-être un mot bien pompeux pour qualifier une tentative presque enfantine. Cependant des sentences sévères furent prononcées. O’Brien et Meagher furent condamnés à mort. Hâtons-nous de dire que leur peine fut commuée en celle de la transportation perpétuelle. Sir Charles Gavan Duffy avait été mis également en prévention ; il fut renvoyé des uns de la plainte, sa participation aux faits matériels d’insurrection n’étant pas établie.

Les condamnés furent expédiés en Australie. Là ils finirent par se retrouver avec Mitchel, qui décida Meagher à s’évader avec lui. Le moyen employé par les deux amis était d’une délicatesse contestable. Ils avaient été laissés libres sur parole. Un beau jour, ils se présentèrent au commissaire de police du district et lui déclarèrent qu’ils reprenaient leur parole. Ils avaient pris des mesures pour s’évader, lui n’en avait pas pris pour les arrêter. La partie, évidemment, n’était pas égale. Ils s’échappèrent et arrivèrent aux États-Unis, où ils s’établirent dans les états du Sud. La guerre de sécession éclata quelques années plus tard, et nos deux patriotes irlandais, dont tous les intérêts étaient dans le Sud, devinrent les fervens défenseurs de l’esclavage. Meagher servit même avec distinction dans l’armée des états confédérés. Il fut colonel d’un régiment composé en grande partie d’Irlandais. Un vulgaire accident termina sa vie. Voyageant sur le Missouri, il tomba du pont du bateau à vapeur. Une nuit obscure, un moment de distraction, un faux pas, il n’en fallut pas davantage, et les eaux bourbeuses du fleuve étouffèrent pour toujours cette voix dont l’éloquence avait pu être mise un jour en balance avec celle d’O’Connell. Mitchel, profitant de la prescription, rentra en Angleterre et mourut au moment où il venait d’être élu membre du parlement. Smith O’Brien fut gracié en 1856. Il s’établit à Bangor, dans le pays de Galles, où il mourut oublié. Il avait commencé la vie en conspirateur, il la termina en gentilhomme campagnard. Sir Charles Gavan Duffy, étant allé s’établir en Australie, devint député et premier ministre dans la colonie de