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héréditaires : un Russell avait porté sa tête sur l’échafaud pour la cause de la liberté ; un Russell avait pris parti pour Guillaume d’Orange contre Jacques II ; les Russell, comme les Cavendish et les Seymour, étaient appelés couramment les grandes familles de la révolution de 1688.

Edouard Stanley, qui a joué un rôle si considérable sous les trois dénominations successives de M. Stanley, de lord Stanley et de lord Derby, appartenait à l’une des plus vieilles familles de l’aristocratie anglo-saxonne, à une famille contemporaine, sinon de Guillaume le Conquérant, du moins de ses successeurs immédiats. Sous Henri Ier Beauclerc nous trouvons un gentilhomme appelé Alan de Audley. Deux générations après, le petit-fils d’Alan, William, est déjà établi dans le comté de Derby et possède une propriété de Stanley, dont il prend le nom. William est la tige de toutes les branches des Stanley. De lui descendait ce fameux Thomas, deuxième lord Stanley et premier comte Derby, qui termina la guerre des Deux Roses en passant du côté d’Henri Tudor à la bataille de Bosworth. De lui descendait cet autre comte Derby, non moins célèbre, mais plus fidèle, Jacques Stanley, l’énergique défenseur de Charles Ier, le glorieux compagnon d’armes du prince Rupert, qui fut décapité en 1651 après la bataille de Worcester, tandis que sa veuve, l’héroïque Charlotte de La Trémouille, prolongeait encore la résistance dans l’île de Man bien après que tout le reste de l’Angleterre avait reconnu l’autorité de Cromwell.

Au temps des cavaliers et des têtes-rondes, Edouard Stanley, comme son arrière-grand-oncle Jacques, aurait défendu ses convictions les armes à la main. De nos jours, il ne pouvait lutter que par la parole : il s’en servit de manière a mériter d’être surnommé le Rupert de l’éloquence parlementaire. Il n’avait pas la vaste étendue de connaissances qu’on aime à trouver de nos jours chez un homme politique. Son éducation avait été exclusivement littéraire. Il disait de lui-même : « J’appartiens à l’époque préscientifigue. » Il n’en était peut-être que plus redoutable comme orateur de combat. Sa vigoureuse intelligence, concentrée sur un petit nombre de sujets, sa voix musicale qu’il conduisait merveilleusement, la forme élevée de ses discours, la passion qui les échauffait, lui permettaient de se mesurer sans désavantage même avec O’Connell.

Ce fut pourtant un malheur pour lui et pour le cabinet qu’on lui eût confié les fonctions de secrétaire pour l’Irlande. Mieux aurait valu dans ce poste un moins grand orateur et un plus habile diplomate. Stanley avait les défauts de son tempérament : il était énergique jusqu’à la témérité. Dans un discours à ses électeurs du Lancashire, il crut devoir leur faire sa profession de foi sur le rappel, c’est-à-dire sur l’abrogation de l’union législative entre