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considérable. Comme les opinions de Nodier furent, à toutes les époques de sa vie, de sympathie ou d’antipathie plutôt que de raison et de logique, il est plus que probable qu’il faut rapportée à cette intimité les principes premiers de ce royalisme qu’il a professé jusqu’à sa mort, royalisme d’ailleurs fort contrarié, fort traversé par les vicissitudes, des choses politiques et la succession des événemens. Ainsi une députation de la société populaire de Besançon ayant été envoyée à Pichegru pour réclamer en faveur d’un adjudant-général franc-comtois, du nom de Charles Perrin, condamné à mort par contumace, le jeune Nodier, qui fréquentait avec assiduité les clubs de sa ville natale et y prononçait même des discours, obtint de faire partie de cette mission. Il vit le conquérant de la Hollande et il rapporta de cette visite un enthousiasme de durable nature qui se traduisit, trente ans plus tard, en apologies ; passionnées et en plaidoyers ingénieux. Les menées ultérieures de Pichegru furent bien pour quelque chose dans le secret de cet enthousiasme ; il n’est pas moins vrai que ce qui le détermina à l’origine, ce furent les vertus républicaines du général, la simplicité de sa via et la sobriété de ses mœurs. Aux crimes de la Terreur succédèrent les vengeances des opprimés et des victimes ; malgré son royalisme, le jeune Nodier en fut épouvanté, et les exploits des compagnons de Jéhu et autres associations analogues eurent pour effet, nous le voyons par ses Souvenirs, de décourager sa sensibilité en lui montrant la méchanceté humaine sous un aspect plus étendu et avec une variété de formes plus nombreuses qu’il ne l’avait imaginée. Sentez-vous le mélange, le pot-pourri de sentimens et de passions, et comme il est bien fait pour exercer une action violente sur ce jeune cerveau ? De ces oscillations trop brusques et trop rapides il résulta chez le royaliste Nodier un faible secret et presque inconscient pour les républicains même les plus extrêmes, faible qui se traduit souvent à l’improviste et qui lui a fait écrire un jour cette phrase : « Sous la révolution, le jacobinisme et la Vendée se partageaient tout ce qu’il y avait alors en France d’élévation morale. » Cette inclination à l’indulgence va se fortifier tout à l’heure de l’intimité que les prisons du consulat lui feront contracter avec maint naufragé de la révolution.

C’est le royaliste qui domine seul à l’époque où s’ouvre la correspondance publiée par M. Estignard[1]. Nous voyons Nodier, errant

  1. S’il faut en croire les dates générales placées au titre de cette correspondance, elle s’ouvrirait en 1796, mais il est difficile d’admettre que les premières lettres du recueil se rapportent à cette date. Nodier avait seize ans en 1790 ; or le ton de ces lettres est d’un jeune homme de dix-huit à vingt ans plutôt que d’un jeune homme de seize à dix-huit, et les sentimens qui y sont exprimés sont de ceux qui suivent la puberté plutôt que de ceux qui la précèdent. Elles nous montrent Nodier sortant d’une première aventure amoureuse, et dans son récit de Thérèse, la seconde des nouvelles qui composent ses Souvenirs de jeunesse, il a pris soin de donner 1799 comme la date de cette aventure Enfin ces lettres nous le présentent poursuivi et contraint de se cacher, circonstance qui ne peut se rapporter qu’à l’année 1799. époque où M. Francis Wey nous le montre compromis par ses relations avec des émigrés de diverses catégories, et Sainte-Beuve, condamné par contumace pour complot contre la sûreté de l’état.