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ces fièvres d’imagination, ne lui ont fait faire une sérieuse injure à la morale et ne lui ont même fait secouer la contrainte légère que nous imposent les bienséances sociales. Aucun scandale, à peine quelques écarts ; ses œuvres même les plus hasardées et les plus folles portent un caractère honnête et respectueux de tout ce qui est vraiment digne du respect. Vingt fois pendant mes récentes lectures de Nodier, je me suis rappelé une certaine historiette que j’entendais raconter dans mon enfance et que n’aurait certainement pas dédaignée cet amateur de contes populaires. Au temps où les sorciers étaient plus répandus qu’ils ne sont aujourd’hui, une jeune servante ayant surpris un jour sur la table ’ ! un curé dont elle faisait le ménage un gros livre de magie eut l’imprudence de L’ouvrir et d’en lire au hasard quelques lignes. Elle était tombée précisément sur une formule de conjuration, et le diable lui apparut tout à coup lui demandant d’un ton, de menace ce qu’elle voulait. Elle, sans se déconcerter, arracha, aussitôt un cheveu de sa tête : « Je veux, dit-elle, que tu me repasses ce cheveu de manière qu’il reste droit. » Le diable, que la formule de conjuration plaçait momentanément au pouvoir de la servante, se mit en devoir de lui obéir, mais plus il usait du fer, et plus le cheveu, se recroquevillait, si bien qu’à la un impatienté, il lâcha sa besogne et disparut en laissant derrière lui une forte odeur de soufre. Eh bien ! il y eut aussi chez Nodier un démon caché qui le guettait comme sa proie, et qui, à la moindre évocation imprudente, ne manquait jamais d’apparaître ; mais il eut d’ordinaire pour lui répondre autant de présence d’esprit que la servante de notre conte, et se tira toujours du péril en ne lui commandant que les besognes les plus innocentes, la poursuite de tel genre d’insectes, afin d’utiliser les vagabondages forcés auxquels l’obligeaient ses démêlés avec l’autorité puérilement bravée, la recherche d’une édition rare qui manquait à sa collection de : curiosités bibliographiques, ou, la récit de quelque histoire merveilleuse qui pût redonner un peu de rotondité à sa bourse devenue trop flasque. C’est que la nature avait mis en lui le correctif au penchant dangereux que nous venons de signaler, et ce correctif, c’était précisément cette curiosité en sens divers et cette mobilité d’esprit qu’on est tenté de lui reprocher d’abord comme une inutile déperdition de forces. Toute concentration qui l’aurait trop fortement replié sur lui-même aurait pu aisément devenir fatale avec un tel penchant ; sa curiosité et son vagabondage d’esprit le sauvaient de lui-même en le disséminant.

Parmi les influences qui ont eu action sur lui, celle de sa province natale fut une des plus considérables et des plus permanentes. Ce n’est pas qu’on remarque chez lui aucun goût de terroir bien