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régimes politiques que Nodier a traversés, on ne les y rencontrera pas ; en revanche, on lui trouvera un intérêt véritable si on ne lui demande pas autre chose que des renseignemens sur la personnalité même de Nodier, et si dans cette personnalité on s’inquiète plutôt de psychologie que de biographie. Ces lettres abondent en traits de lumière qui nous montrent sur le vif la nature véritable de ses sentimens, qui nous font pénétrer plus avant qu’on n’avait pu le faire dans les mystères de son tempérament, et c’est grâce au secours qu’elles nous ont prêté que nous pouvons espérer, sinon de renouveler entièrement le sujet, au moins de le rajeunir par certains côtés.

Le procédé habituel des peintres de portraits est de dessiner d’abord le visage qu’ils veulent rendre afin de se créer le cadre où ils distribueront ensuite les couleurs et les nuances ; faisons de même pour Nodier ; essayons de créer un ensemble qui nous permette de relier les contradictions et les inconstances de cette mobile personnalité et d’expliquer la diversité fantasque de goûts, de passions et même d’opinions qui la distinguent.

Il est admis depuis longtemps que les types créés par les grands poètes ont le don de provoquer l’imitation à un degré contagieux ; ce qui est plus vrai encore, c’est que ces types ne provoquent si facilement l’imitation que parce qu’ils se rencontrent avec certaines dispositions morales des contemporains devinées ou ressenties par le poète, en sorte que les prétendus imitateurs sont bien souvent comme des gens qui ne connaîtraient pas leur image et à qui on présenterait un miroir à l’improviste. Nodier nous offre de ce fait la preuve la plus remarquable. Il a eu la fortune peu médiocre de donner en sa personne la traduction vivante des deux héros les plus populaires de Goethe. Que Nodier ait été mieux qu’un imitateur, qu’il ait été un disciple ardent et presque fanatique de Werther, la chose est bien connue et n’a rien d’extraordinaire, car il ne faisait en cela que ressentir avec plus de feu un enthousiasme général dans sa jeunesse, et d’ailleurs la ressemblance reste ici toute morale. Elle est autrement étroite avec le second de ces héros, dont il a reproduit l’image avec une singulière fidélité sans en avoir la moindre conscience et sans que personne ait jamais songé à s’en apercevoir. Goethe, qui suivit toujours d’un œil si attentif la fortune de ses œuvres dans les divers pays de l’Europe ne s’est pourtant jamais douté lorsqu’il créait son Wilhelm Meister qu’il y avait en Franche-Comté un jeune enthousiaste dont la vie et le caractère reproduisaient l’odyssée aventureuse et le caractère imprudent de son héros ; le fait était pourtant ainsi. Oui, en vérité, Nodier fut un Wilhelm Meister en chair et en os ; même enthousiasme téméraire, mêmes nobles mobiles, mêmes aspirations ambitieuses et mêmes minces résultats,