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mêle, ni n’essaie-t-on de salir leur nom en pareilles circonstances. Je n’insisterai pas davantage. On peut manquer d’esprit et de goût, n’avoir pas plus d’égards à la patience du lecteur qu’aux convenances littéraires, ne savoir enfin ni se borner ni se retenir, et faire cependant de bon roman naturaliste.

Au moins y faut-il de l’observation, et, — comme nous avions eu déjà l’occasion d’en faire la remarque à propos de Nana, — les qualités de l’observateur vont de roman en roman s’affaiblissant chez M. Zola. Sans doute qu’ayant maintenant l’expérience qu’il a du monde et de la vie, la science des choses et la connaissance des hommes, il n’a plus que faire d’observer. Le chicanerai-je pourtant sur des détails ? Quelqu’un s’étant avisé le premier de s’égayer aux dépens de cette maison de la rue de Choiseul, ou plutôt cette espèce de caravansérail, dont tous les locataires se connaissent et voisinent, tout le monde a suivi, comme de juste, et l’immeuble de Pot-Bouille, avec ses faux marbres et ses zincs dorés, est devenu déjà quasi célèbre. N’a-t-on pas oublié qu’il y avait un locataire au moins qui vivait à l’écart des autres ; et représente lui seul, parmi tous ces bourgeois corrompus, l’honneur, la probité, la vertu même ? C’est le locataire du second, heureux père, heureux époux ; il fait du roman naturaliste. Mais, outre qu’on ne peut pas disputer à M. Zola, tout naturaliste qu’il soit, le droit d’employer ce moyen, puisqu’il n’en a pas pu trouver un meilleur pour concentrer et composer son action ; s’il y a des maisons, à Paris comme à Plassans, où l’on ne voisine pas, il y en a peut-être, il peut y en avoir où l’on voisine, et M. Zola les a découvertes. Je ne suis pas autrement ému, non plus, de voir des conseillers de cour d’appel, hommes d’âge, hommes posés, hommes graves, emmener en partie chez Clarisse Bocquet, leur maîtresse, les jeunes commis en nouveautés : je crois seulement que ce n’est pas l’usage. Et pourquoi m’étonnerais-je, après tout, de voir des fractions d’agent de change, « semblables à de jeunes dieux indiens, » traverser les salons à la course pour se hâter vers les cuisines, et sans prêter plus d’attention aux demoiselles Josserand, honorer de leurs faveurs alternatives les bonnes à tout faire et les écureuses de vaisselle ? Mais j’avoue qu’on ne m’avait point dit que ce fussent leurs habitudes. Ce qui me surprend plutôt, et, si j’étais des admirateurs de M. Zola, ce qui m’inquiéterait davantage, c’est de voir comme tous ses personnages, indistinctement, obéissent à des impulsions mécaniques.

C’est où je reconnais que M. Zola n’observe plus. Son siège est fait, il sait ce qu’il voulait savoir. Ses romans futurs sont déjà tout tracés : il ne lui reste plus qu’à les écrire. Il doit faire un « roman scientifique, » il doit faire un « roman socialiste, » il doit faire un « roman militaire. » C’est toujours à M. Paul Alexis que j’emprunte ces renseignemens, à qui je me reprocherais de ne pas ajouter celui-ci que, quand