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ou son neveu Gueulin. On a souffert que M. Zola, de sa plus belle plume et de sa meilleure encre, nous sténographiât la conversation des bouges du boulevard extérieur, on n’a pas à se plaindre maintenant que, poursuivant ce qu’il appelle ses études philologiques, il nous fasse entendre les propos de la cour intérieure et de l’escalier de service. Il ne fallait pas le louer de l’exactitude avec laquelle il avait copié dans un Manuel de pathologie quelconque la description d’un accès de delirium tremens, si l’on ne voulait pas qu’il allât piller un jour dans quelque Traité d’obstétrique le détail d’un accouchement. Pot-Bouille et Nana, c’est tout un : qui a fait l’un a fait l’autre ; l’Assommoir et Pot-Bouille, c’est bien incontestablement la même marque, et c’est bien le même produit. M. Zola ne s’est pas surpassé dans ce dernier chef-d’œuvre ; il n’y a fait vraiment que s’égaler lui-même. Et c’est pourquoi, si ceux qui, depuis dix ans, ont constamment protesté contre les succès que l’on a voulu faire à M. Zola ont le droit de continuer, ceux-là ne l’ont pas de commencer aujourd’hui qui ne sauraient rien trouver à reprendre, ou presque rien, dans Pot-Bouille, qu’ils n’aient admiré jadis dans l’Assommoir.

Ils l’ont même d’autant moins que, s’il faut tout dire, ils sont assurément pour beaucoup dans la perpétration de la chose. M. Zola n’est de ses romans que le principal auteur, mais il a pour complices tous les imprudens fauteurs de sa réputation ; et tel maintenant le prend à partie qui n’a pas l’air de se douter qu’à travers Pot-Bouille, si je puis ainsi parler, c’est soi-même et surtout soi qu’il atteint. Si lorsque parurent, en effet, il y a de cela dix ou douze ans bientôt, les premiers volumes de cette Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second empire, il n’y avait eu tout d’abord, contre des romans de l’espèce du Ventre de Paris ou de la Curée, qu’un seul cri de réprobation ; si le peu qu’il y a de critiques, sans méconnaître d’ailleurs ce qu’il pouvait y avoir là de talent, avait discerné cependant où allait cet art, comme le qualifiait M. Zola lui-même, « tout expérimental et tout matérialiste ; » si l’on n’avait pas enfin salué, depuis lors, dans l’écrivain qui fait aujourd’hui, je ne sais en quel jargon, « fumer les vertus bourgeoises dans la solennité des escaliers, » un maître, car on l’a dit, de la prose française ; à coup sûr, je n’imagine pas que M. Zola se fût pris à réfléchir, ni qu’il eût renoncé surtout à cette grossièreté de facture où il sent bien qu’est attaché le meilleur de son originalité, mais il ne fût pas devenu ce qu’il est, ce qu’on l’a fait, ce qu’il n’est pas près enfin de cesser d’être : une force, avec les excès de qui la critique, bon gré mai gré, doit et devra longtemps compter, puisque ses théories ont fait au moins cinq disciples, je pense, et l’exemple de ses succès trois ou quatre notables victimes. Mais quoi ! nous étions trois ou quatre alors, pour essayer de barrer le courant. Et quand, ici même, nous affections tant d’audace que d’admirer modérément la Conquête de Plassans