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l’industrie européenne sait mettre en usage. C’est au colonel Desvaux, qui, au mois de novembre 1854, pénétra au sud de Biskra, dans l’Oued-Rir et à Tougourt, que revient l’honneur d’avoir le premier entrepris la création des puits artésiens. Un an et demi à peine après que l’armée française fut entrée dans la ville principale de l’Oued-Rir, un puits avait été creusé. C’est dans l’oasis de Tamerna que le premier puits artésien français a été établi, et c’est à la date mémorable du 17 juin 1856 que, pour la première fois, l’eau d’un puits français a fécondé une des oasis, du Sahara.

Mais ce n’était que le commencement d’une grande œuvre. Depuis cette époque, grâce au zèle persévérant de quelques officiers, M. Lehaut, M. Zickel, M. Auer, M. Lillo, M. Bourotte, M. Cenvot, et bien d’autres encore, grâce à l’activité de M. Jus, ingénieur civil, qui, depuis 4856, a été le directeur de la plupart des sondages effectués, il y a maintenant, dans tout l’Oued-Rir, quantité de puits artésiens qui débitent des masses d’eau considérables, et qui, par conséquent, y apportent la fécondité. On peut admirer la fertilité naturelle de certains pays qui produisent sans que l’homme ait d’autre effort à faire que de semer et récolter ; mais je ne sais si cette fertilité saharienne, due uniquement au génie de l’homme, n’est pas plus admirable encore. L’homme a pu, en effet, par sa science et sa patience, donner la vie au désert aride, créer des oasis et des forêts, là où il n’existait que le sable.

Que de journées de travail, que de labeurs, que d’efforts, souvent stériles en apparence, ont été nécessaires ! Ceux-là seuls qui ont dirigé de pareils travaux peuvent le savoir. Tantôt c’est le sable qui, retombant sans cesse, comble le puits à mesure qu’il est formé, tantôt c’est une roche, qui, par sa résistance, n’est que difficilement entamée par les appareils forateurs. Et si quelque instrument nécessaire est brisé ou mis hors d’usage, il faut attendre longtemps, par suite des distances énormes et des difficultés de transport, pour qu’il soit remplacé par un appareil nouveau envoyé de la métropole. Ici, à Paris, au milieu des facilités de vie qu’une longue civilisation nous a données, il sera bon parfois de penser qu’il est des hommes dévoués, consacrant, loin de leur pays et pour leur pays, toutes leurs forces à cette œuvre ardue, mais féconde. Quelques soldats, dirigés par un officier et un ingénieur, vont, pour de longs mois, s’établir loin de tout centre civilisé, et, malgré les rigueurs d’un climat quelquefois glacé et plus souvent torride, travailler sans relâche à faire jaillir à la surface l’eau cachée dans les profondeurs de la terre.

Quelques chiffres indiqueront[1] mieux que toute considération les

  1. Ces chiffres sont empruntés à un mémoire intitulé : les Oasis de l’Oued-Bir en 1856 et en 1880 ; Paris, Challamel, 1881.