bambins, de sots et de nigauds, cherche un homme et crie au monde entier, sans rougir : « C’est lui ! » Pour la première fois, les yeux d’Erneste se rencontrèrent, avec une certaine trépidation, avec ceux du docteur, qui continuait à sourire, comme un pauvre qui demande l’aumône et qui attend. Mais une voix aiguë, plutôt un coup de sifflet qu’une voix, partit tout à coup du haut du magnolia, deux fois, trois fois, avec insistance. Et là où le docteur ne perçut que le cri répété d’un étourneau, Erneste entendit distinctement : « Ce n’est pas lui ! ce n’est pas lui ! — Ce n’est pas lui ! » répétait l’étourneau qui prit son vol pour rejoindre la caravane ailée de ses compagnons, tournant comme un nuage. — « C’est singulier, » dit Erneste, qui avait entendu la même voix à Milan. Une heure après, elle congédiait très gentiment son docteur, en lui recommandant de hâter le pas pour arriver avant minuit à la ville. Ce qui tendrait à prouver que les matérialistes sont moins sages et moins forts que les étourneaux.
Hélas ! cela ne prouve rien, sinon que l’auteur est un galant homme et que le fruit défendu ne l’allèche pas. Erneste revient à Milan, et Léonard, fidèle à son engagement, va voir le temps qu’il fait en Allemagne. Aux eaux de Spa, il perd la vue ; menacé depuis longtemps d’une cataracte pas assez sénile peut-être au gré de la science, il a hâté le mal par les excès de l’oisiveté. Il rentre donc chez lui, tout à fait aveugle. On devine la suite : Erneste, dans un bon mouvement de cœur, va le soigner. La réconciliation est indiquée : elle se fait jour à jour, en scènes très touchantes et très charmantes qui retiennent l’attention, bien que ce soit fini. Le malade est opéré, l’opération réussit, la cure morale a suivi pas à pas la cure physique : la cécité des yeux était moins cruelle que la cécité de l’esprit. Léonard n’ira plus au cercle, pas même au café ; Erneste est heureuse, et l’étourneau chante. Le docteur le couche en joue et le manque : c’est signe qu’il a perdu la fermeté du bras et la sûreté de l’œil. En ce cas, on n’a plus qu’un parti à prendre, on se marie ; le docteur épouse Virginie, la petite cousine ; c’est bien fait.
Après Amore bendato, l’auteur fut classé : on le déclara idéaliste et puritain pour l’opposer à un jeune conteur sicilien, nommé G. Verga, qui s’essayait dans le naturalisme. Fut-ce pour protester contre ce classement que notre humoriste fit une excursion dans le demi-monde italien ? On peut le croire, et quelques-uns l’en blâment ; il tâche de se justifier dans une préface qui pourrait servir même chez nous. Il dit en résumé à Caïus, son contradicteur : « J’ai fait cette fois-ci comme les autres : ayant une idée en tête, j’ai voulu la rendre en acceptant les personnages, les scènes et les