latitude aux autorités locales, et sous peine de favoriser l’arbitraire, cela ne peut être fait qu’au moyen de représentans de la société, au moyen des assemblées électives.
De la Baltique à la Caspienne, presque tout le monde le sent aujourd’hui. La centralisation bureaucratique, qui, durant deux siècles, a présidé à l’éducation européenne de la Russie, est presque universellement rendue responsable de la lente croissance et des faibles progrès de son élève. Comme un précepteur qui prétendrait s’imposer éternellement à un jeune homme et le maintenir en dépit des années sous son étroite tutelle, le tchinovnisme excite la haine et les révoltes du pupille qu’il prétend gouverner comme un enfant, sans plus rien avoir à lui apprendre. Pour la plupart des Russes la bureaucratie est l’ennemie. Ils n’ont qu’un désir, s’émanciper de son joug. Selon une métaphore scientifique, devenue chez eux un axiome banal, il faut substituer à l’impulsion mécanique du tchinovnisme l’action organique du pays. Vis-à-vis de la bureaucratie, les deux partis, ou les deux tendances, qui se disputent la Russie sont par extraordinaire unanimes. Saint-Pétersbourg et Moscou semblent là-dessus d’accord. Libéraux à l’occidentale, ambitieux de voir entrer leur patrie dans la carrière des libertés constitutionnelles, et néo-slavophiles, prôneurs convaincus du régime autocratique, s’entendent au profit du self-government local. Les premiers y voient la meilleure préparation à la difficile épreuve des libertés politiques ; les derniers y découvrent l’équivalent et comme la rançon de ces périlleuses libertés qu’ils repoussent pour leur pays. Au lieu d’être, comme trop souvent, tiraillée en sens opposé par deux forces contraires, la Russie et son gouvernement sont ainsi poussés dans la même voie par les deux esprits rivaux qui se partagent la direction de l’opinion. En cédant à cette double impulsion le gouvernement est sûr de céder au vœu général de la nation.
Rien de plus curieux, à cet égard, que l’attitude des conservateurs nationaux de Moscou. Ce sont peut-être les plus décidés contre la bureaucratie, les plus ardens en faveur des zemstvos et du self-government provincial. Autant ils professent d’aversion et de dédain pour les fallacieuses et stériles libertés politiques de l’Occident, autant ils affectent de zèle pour les humbles et fécondes libertés locales. A leurs yeux, là est l’avenir de la Russie et l’idéal russe. C’est par là que peut être conciliée l’apparente antinomie de la liberté du peuple et de l’autocratie tsarienne. Pour réaliser leur dogme favori de l’union et, pour ainsi dire, de la communion du souverain et du peuple, il n’y a qu’à faire disparaître le bureaucrate qui se place entre le trône et le pays, qui les empêche de se voir et de se sentir qui les rend étrangers l’un à l’autre. S’ils réclament le self-government local, ce n’est point par défiance du pouvoir, comme une