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conférence d’experts de l’automne dernier[1], les questions vitales seraient dorénavant toutes résolues, avec le concours « d’hommes du pays, » de pareilles assemblées, aussi souvent réunies et aussi libres qu’on les suppose, ne seraient jamais que des commissions consultatives, et, dans toutes les questions traitées par elles, le dernier mot resterait comme par le passé à l’administration et au tchninovnisme. Aussi, indépendamment même de leur composition et de l’absence d’élection, ne saurait-on voir dans ces conférences une sorte de parlement embryonnaire et comme la menue monnaie de chambres législatives. Le principal avantage de ces réunions, c’est que si elle ne sont pas systématiquement épurées, elles peuvent permettre à la voix de ses sujets de monter de temps en temps aux oreilles du tsar autocrate.

Au moment où la conférence d’experts de 1881 terminait ses séances, l’empereur Alexandre II instituait en novembre dernier une autre commission chargée d’une besogne bien autrement vaste et difficile, la réforme de l’administration. A l’inverse de la conférence sur les boissons et les cabarets, cette nouvelle commission était uniquement composée de fonctionnaires ; les membres des états provinciaux n’y avaient accès qu’à titre de déposans. Cette commission qui doit prendre pour base l’enquête sénatoriale de 1880-1881, est chargée de proposer la révision de toutes les institutions locales de l’empire, des provinces, des districts, des municipalités urbaines, des communes rurales. C’est un remaniement général de toute l’œuvre de son père que semble se proposer Alexandre III. Dans cette vaste réorganisation administrative les zemstvos doivent naturellement tenir la première place. Le gouvernement en devra de nouveau définir la compétence ; en précisant les attributions respectives des représentans des intérêts locaux et des délégués du pouvoir central. Ce que l’opinion réclame pour les zemstvos, ce que plusieurs d’entre eux ont timidement demandé depuis deux ans, ce sont moins des facultés nouvelles que la restauration des droits et des libertés qui, après leur avoir été reconnus par les lois, leur ont été enlevés ou contestés par la bureaucratie. Tout montre combien le gouvernement impérial a eu tort de tenir en suspicion les états provinciaux. Ce n’est pas de ce côté qu’est pour lui le danger. La bureaucratie, le tchinovnisme et la centralisation ont seuls à redouter le développement de pareilles institutions. Les défiances du pouvoir vis-à-vis des corps élus, vis-à-vis des assemblées provinciales ou municipales, paraissent enfantines et chimériques ; ce

  1. Discours du général Ignatief, ministre de l’intérieur, à l’ouverture de la conférence des experts, 24 septembre 1881.