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Depuis la guerre de Bulgarie, j’ai rencontré plus d’un Russe qui se flattait de voir ainsi sa patrie mise indirectement en possession d’une sorte de représentation nationale. Il faudrait un péril imminent pour décider le pouvoir autocratique à transformer de cette façon les états provinciaux en états généraux, le zemstvo en zemskii sobor. Cette expérience, qui répugnait manifestement à Alexandre II, semble n’être pas davantage du goût d’Alexandre III. Au lieu de convoquer des délégués des zemstvos plus ou moins en droit de se targuer d’être les représentans du pays, le gouvernement impérial préfère réunir de temps en temps, dans l’une de ses nombreuses et inoffensives commissions législatives, quelques membres isolés des états provinciaux ou des municipalités, pris à son choix dans les diverses assemblées locales et hors d’état de se considérer comme représentans de la nation. C’est ce dont Alexandre II avait déjà donné quelquefois l’exemple. C’est ce qu’il semble avoir été près de tenter, sur une plus grande échelle et pour des questions plus brûlantes, au printemps de 1881, au moment même où il allait succomber sous les coups répétés des révolutionnaires. C’est ce qu’Alexandre III a déjà exécuté plusieurs fois, notamment dans l’automne de 1881, et ce qu’on espérait lui voir désormais ériger en pratique de gouvernement.

En septembre dernier, Alexandre III a, en effet, réuni à Saint-Pétersbourg une commission de trente-deux personnes, pour la plupart membres des zemstvos ou des municipalités, avec mission d’étudier deux questions bien souvent débattues en Russie et naturellement aussi étrangères à la politique l’une que l’autre : la question des cabarets et, de la vente de L’alcool et celle des migrations de paysans. Les membres de cette commission, officiellement désignes sous le titre modeste d’experts (svêdouchtchye lioudi) comptaient parmi eux des maréchaux de la noblesse et des présidens des délégations provinciales, à côté desquels on remarquait un paysan, simple ancien de bailliage. Ce qui distinguait cette commission de tout ce qu’on avait vu jusqu’alors, c’est qu’elle était uniquement composée de représentans de la société, que le tchinovnisme en était entièrement absent et qu’elle dirigeait ses délibérations en dehors de l’intervention de tout fonctionnaire. Ce qui était nouveau aussi, c’est que, au lieu d’être condamnées à l’obscurité du huis-clos, ses discussions pouvaient être librement reproduites dans les journaux. Pendant des semaines, la presse russe a été remplie des dissertations des divers orateurs sur les débits d’eau-de-vie et les meilleurs moyens de mettre un frein à l’ivrognerie. Durant des semaines, la Russie a eu de cette façon l’illusion d’une sorte de parlement au petit pied, mais d’un parlement dont les débats et la