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premières espérances, c’est le tchinovnisme qui a tenu les assemblées électives sous sa dépendance[1].

Le pouvoir, depuis la création des zemstvos, semble n’avoir eu qu’un souci, les enfermer dans l’étroite enceinte des affaires locales et les y assujettir à l’autorité de ses gouverneurs. Aussi ne saurait-il être surpris s’il n’a trouvé dans les nouvelles assemblées ni une barrière contre les abus administratifs ni un appui contre les entreprises révolutionnaires.

Quand, avec une inconséquence expliquée par le trouble de ses conseillers et la terreur des conspirations, l’empereur Alexandre II, dans l’effarement de la crise nihiliste, fit un solennel appel au concours du pays et des différentes classes de la nation, la plupart des zemstvos ne répondirent que par de banales et stériles protestations de dévoûment. Deux ou trois assemblées seulement osèrent indiquer discrètement les réformes qui pouvaient aider à triompher de l’esprit de rébellion. Le zemstvo de Kharkof eut seul la courageuse franchise de répondre que, la loi interdisant aux zemstvos toute discussion sur les affaires générales, ils ne pourraient offrir leur appui au gouvernement, dans la lutte contre la révolution, que si leurs attributions étaient légalement étendues.

En dépit de leurs déceptions, les zemstvos ont longtemps gardé l’espoir que tôt ou tard les circonstances contraindraient le gouvernement à réclamer leur concours. Plusieurs fois déjà, au milieu de la guerre de Bulgarie, lors des irritantes défaites de Plevna, — entre le traité de San-Stefano et le traité de Berlin, lorsqu’on redoutait un conflit avec l’Angleterre, — durant la crise nihiliste, lorsque, avec le général Loris Melikof, Alexandre II semblait enclin à revenir à une politique libérale, — depuis la mort de ce prince enfin et l’avènement d’Alexandre III, on s’est flatté à plusieurs reprises de voir le souverain, désireux de se mettre ostensiblement en communication directe avec ses peuples, s’adresser sous une forme ou sous une autre aux zemstvos, leur demander pour telle ou telle mesure une sorte de ratification ou de consécration nationale. Pour obtenir une représentation du peuple russe, il n’y aurait guère, en effet, qu’à réunir une délégation des divers états provinciaux. En de graves conjonctures, en cas de guerre malheureuse, par exemple, ou en cas de minorité turbulente et de régence contestée, le gouvernement pourrait, sans charte ni constitution, sans élections même, improviser une assemblée de mandataires du pays. Il suffirait à la rigueur de convoquer à Saint-Pétersbourg ou à Moscou les commissions de permanence des zemstvos des diverses provinces.

  1. Voyez la Revue du 15 juillet 1878.