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les conditions de la royauté ; il se plaisait à refuser aux princes des apanages, comme il voulait une pairie sans lui accorder l’hérédité. En ne discernant pas ces contradictions, le ministère alla au-devant d’un échec. De crainte de compromettre la personne royale, les partis convinrent de voter sans débat. Le ministère ne vit pas le péril de cette conspiration du silence, et quand une majorité de vingt six voix eut rejeté le projet, il ne lui resta qu’à donner sur-le-champ sa démission afin de couvrir autant que possible la couronne en prenant pour lui tout l’échec.


III

M. Dufaure revenait à son banc de député l’esprit libre et la conscience très nette. Il avait hâte de suivre et de contribuer à mener à bien les travaux qu’il avait entrepris comme ministre. Ce fut la tâche à laquelle il se dévoua, devenant presque aussitôt rapporteur des lois qu’il avait présentées, et ne prenant aucune part aux débats politiques. Plus que jamais il s’affranchissait des coteries. Dans une discussion sur la question d’Orient, il venait de juger tour à tour la politique suivie par M. Thiers, celle adoptée par M. Barrot ou défendue par M. Guizot, lorsqu’élevant la voix : « Je n’appartiens quant à moi, dit-il, à aucune des politiques qui croient se distinguer dans ce débat. Je ne connais aucun parti dans la chambre qui puisse m’imposer son opinion : je dis franchement ce que je crois vrai et national. » — Ce jour-là, M. Dufaure proclamait son isolement : il relâchait certains liens, il en rompait d’autres et se déclarait affranchi de tout joug. Pour qui agit de la sorte, toute ambition est abandonnée, ou du moins de longtemps ajournée. Il y a des âmes qui se plaisent à ces sacrifices. M. Dufaure avait vu de près les jeux changeans de la scène politique, il avait conquis l’influence, exercé le pouvoir, puis l’avait quitté sans regrets. Il n’était ni découragé, ni dégoûté de la lutte, mais il confondait aisément les combinaisons et les intrigues et il mettait une joie secrète à dérouter les unes et les autres par sa rude franchise.

L’année 1841 s’ouvrit par le mémorable débat sur les fortifications de Paris. Ce ne fut pas, à vraiment parler, l’œuvre d’un ministère ou d’un parti politique. Conçu sous l’inspiration du roi, le projet présenté par le maréchal Soult et défendu par M. Guizot eut pour rapporteur M. Thiers, qui parut oublier qu’il était tombé du pouvoir et qui l’y avait remplacé. M. Dufaure ne faillit pas à ce rendez-vous du sentiment national et, s’il différa au point de vue technique, il fit entendre la plus éloquente défense du projet et du patriotisme qui l’avait dicté.

Il n’avait d’ailleurs ni hâte, ni désir de reprendre l’offensive. A