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étrangère dans sa propre cour et sentant d’autant plus le besoin de s’entourer sans cesse de fêtes, de jeux, de pompes et de bruit. Cette pleine possession de soi est peut-être le trait le plus caractéristique de son caractère ; non-seulement elle n’eut pas d’amans, mais elle n’eut pas de favoris. Elle eut à peine des amitiés, elle vécut entièrement pour ses enfans et elle vit sa race rester stérile : ce fut sans doute le châtiment le plus cruel pour une mère qui voulait se survivre dans plusieurs lignées royales ; rameau de la tige flétrie des Médicis, elle vit se dessécher entièrement la tige des Valois, sur laquelle, jeune, on l’avait greffée.


I

Catherine de Médicis n’avait que quatorze ans lorsqu’elle quitta l’Italie pour venir épouser un prince français. Elle était née le 13 avril 1519 ; quelle influence avaient pu avoir sur elle, à cet âge si tendre, les souvenirs et les leçons de sa famille, les guerres civiles dont le bruit avait étonné plus qu’effrayé son enfance, la paix du cloître florentin où elle avait longtemps trouvé asile, les splendeurs de Rome où l’un des siens portait la tiare ? Qui pourrait le dire avec exactitude ? Ni M. de Reumont, ni M. Armand Baschet, ni M. de La Ferrière n’ont pu retrouver une seule lettre de ses années de jeunesse. La filiation de Catherine nous donne quelques lueurs incertaines ; elle n’était pas purement Italienne, sa mère était une Française, Madeleine de La Tour d’Auvergne, fille de Jean, comte de Boulogne, et de Catherine de Bourbon. Tout devait être tragique dans la vie de Catherine de Médicis ; elle n’avait que vingt-deux jours qu’elle était déjà orpheline. Sa mère mourut de la fièvre à la suite de ses couches, et, à peu de jours de distance, son père, le duc d’Urbin, succombait aux suites d’une maladie causée par la débauche, à l’âge de vingt-huit ans. Nous ne savons rien à peu près de Madeleine de La Tour d’Auvergne, sinon qu’elle avait charmé un instant Florence par sa grâce française. Laurent de Médicis, duc d’Urbin est bien connu ; Raphaël fit son portrait ; ses traits n’avaient aucune beauté ; comme tous les Médicis, il avait les yeux gros et ronds, la bouche sensuelle, l’air astucieux. Le duc d’Urbin avait été un moment l’espérance de Léon X, mais le pape avait le cœur espagnol, et Laurent avait été rendu Français par l’amitié du roi François Ier ; il se laissa persuader par ses intimes que la dignité de duc de Florence convenait seule à sa grandeur. Il tenta vainement d’associer Léon X à ses projets. Revenu de Rome, il se livra à une débauche sans frein et tomba dans une noire mélancolie. La fièvre intermittente le minait depuis longtemps. Son mariage le tira