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dieux ou héros pasteurs. C’est mythologiquement un frère de Daphné, aimée du dieu de la lumière. Il a de merveilleux troupeaux comme le soleil ; — on sait que les vaches du soleil sont les nuages. — Parmi les noms divers que les traditions donnent à sa maîtresse, on rencontre celui de Lyké (la lumineuse) : il aime donc passionnément la lumière et il meurt quand elle le quitte. « Daphnis, dit M. Decharme, adoptant en partie les idées de M. Cox, c’est sans doute le beau soleil, qui chaque jour fait paître ses brillans troupeaux, qui au matin de sa vie aime l’Aurore et en est aimé, qui plus tard s’éloigne d’elle, qui pour prix de son infidélité est aveuglé par la nuit et disparaît bientôt derrière les hautes cimes. » Voilà une très ingénieuse explication de la légende tout entière, y compris la mort du berger aveugle et sa chute dans un précipice. Sans oser aller jusque-là et sans prétendre nier plus qu’affirmer, car, en ces matières, l’un est presque aussi difficile que l’autre, remarquons que, dans cette interprétation, le moment pathétique, celui de la disparition de la lumière avec le sentiment de tristesse qu’elle amène, répond précisément au sujet choisi par Théocrite dans sa viie idylle : le désespoir de Daphnis cherchant sa bien-aimée. Seulement empressons-nous d’ajouter que cet ordre d’explications, antérieur à tout développement concret et vivant, peut donner le sens originaire des mythes, mais qu’il n’explique pas la pensée personnelle des poètes. Il est absolument étranger à Théocrite.

La même observation est également vraie d’une autre espèce d’exégèse mythologique, celle de K.-Fr. Hermann, qui, restant sur la terre, personnifie en Daphnis un phénomène tout différent, l’hiver et surtout la congélation de l’eau. Le poète nous dit que Daphnis se fond comme de la neige : ce sont les ardeurs de Vénus, déesse du printemps, qui fondent sa froideur. Il dit aussi que les chênes pleurent : ce sont des gouttes de neige fondue qui tombent de leurs feuilles. Un commentateur ancien raconte que Daphnis aveugle se précipite d’un rocher : n’est-ce pas une image évidente de la chute d’un torrent gonflé au printemps par la fonte des neiges ? Allons à la conclusion sans poursuivre l’énumération des preuves : la mort de Daphnis, c’est le passage de l’hiver au printemps, de même que la mort d’Adonis est le passage de l’été à l’hiver. Le savant professeur de Goettingue l’affirme en toute confiance, bien qu’il se déclare très hostile aux témérités des explications symboliques : que serait-ce s’il les aimait ?

Nous nous abstenons de rappeler d’autres interprétations qui s’autorisent de noms recommandables comme ceux de Welcker, de Klausen, d’Hartung. À tout prendre, elles valent bien certaines explications moins hardies d’autrefois, comme celle d’Hardion, pour