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vagues bondissantes, qui, selon une conception mythologique issue de la langue, formaient leurs immenses troupeaux de chèvres.

Ainsi est née la seconde classe de cyclopes, les cyclopes homériques, que le poète de l’Odyssée place aux extrémités du monde sur des rivages merveilleux. Polyphême, le premier d’entre eux et leur représentant, est fils de Poseidon et de Thoosa, la nymphe rapide, qui personnifie la course des vagues furieuses et, comme les Gorgones et les Grées, les vieilles dont la blanche chevelure apparaît dans les vagues écumantes, appartient à la monstrueuse et fantastique descendance de Phorcys, le frère et l’époux de Céto. Ce sont donc les flots furieux qui ont jeté ces êtres immenses au milieu des rochers de la côte avec lesquels ils se confondent. Mais la terre, en prenant possession d’eux, les dépouille de leur nature marine. La Sicile, où leur mythe se localise, le pays des pâturages et de la vie pastorale, les transforme en bergers, bergers sauvages et cruels, il est vrai. Conservant toute la brutalité des forces physiques, étrangers aux lois humaines et divines, à toute science et à toute industrie, ils errent solitaires dans les vallées et les montagnes, toujours en vue de la mer, leur élément primitif.

Voilà sur quelle conception le poète de l’Odyssée a marqué son empreinte, et son Polyphême s’est conservé pendant des siècles tel qu’il l’avait créé. C’est lui que nous reconnaissons encore dans le Cyclope d’Euripide. Mais vers le même temps la poésie dithyrambique s’empare d’un développement sicilien de la légende. Le caractère pastoral de Polyphême se complète ; il chante et il est amoureux ; l’objet de sa passion est la nymphe Galatée, et il cherche par ses chants à se consoler des dédains de sa maîtresse. Dès lors il appartient à la poésie bucolique, et il n’est pas surprenant que Théocrite l’ait pris pour sujet dans deux de ses plus belles idylles, la vie et la xie.

Comme il était naturel, c’est le côté pastoral et purement sicilien qui domine chez lui. Les dithyrambiques Timothée et Philoxène, en traitant le sujet de Polyphême, s’étaient beaucoup moins détachés d’Homère. Le Cyclope du second, où nous savons qu’il introduisait Galatée, donnait, semble-t-il, sous une nouvelle forme, la scène d’ivresse de l’Odyssée, que le drame satirique d’Euripide avait déjà adaptée au théâtre. Celui-ci faisait chanter Polyphême et chargeait Silène de le transformer en buveur élégant. Philoxène, dans son dithyrambe imitatif, fit danser cet être lourd et informe, et la danse de Polyphême devint un thème habituel de danse mimique. Théocrite en parle dans la viie idylle, et le témoignage d’Horace nous montre qu’il avait été adopté à Rome par les pantomimes. Le caractère comique y était encore marqué d’une autre manière, qui devait être plus piquante, s’il est vrai que le cyclope, avec sa lyre