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même temps qu’ils le dessèchent[1]. L’absence de forêts diminue la fréquence des pluies parce que la radiation du sol, en élevant la température, dissipe les vapeurs amenées par les vents, qui ne se résolvent en pluie que lorsqu’un vent contraire, venant à arrêter le courant primitif, en comprime les couches et en condense l’humidité. Cette condensation se fait alors subitement, en dégageant une grande quantité d’électricité et occasionnant des orages souvent désastreux et accompagnés de grêle. Celle-ci est due à l’évaporation très rapide que subit la pluie en traversant des couches d’air sec et qui lui enlève une assez grande quantité de chaleur latente pour la congeler. Aussi la grêle est-elle beaucoup plus fréquente dans les régions dénudées que dans celles qui sont couvertes de bois. J’ai cité à ce sujet, dans l’étude mentionnée plus haut, un fait bien concluant qui m’a été raconté par M. Cantegril, conservateur des forêts à Carcassonne. Le 8 juin 1874, un orage à grêle épouvantable, marchant du nord-ouest au sud-est, après avoir dévasté le département de l’Ariège, qui est entièrement déboisé, arriva dans la partie sud du département de l’Aude, qui est couverte de sapinières ; la grêle cessa aussitôt de tomber et ne recommença que dans le département des Pyrénées-Orientales, où le déboisement est presque complet et où elle ravagea les cinq ou six premières communes qui se trouvaient sur le passage du météore. Et cependant, au-dessus des forêts, l’air était chargé d’électricité, puisque pendant le passage de l’orage, huit sapins furent frappés de la foudre et réduits en morceaux.

Puisque pendant certaines saisons la terre laisse échapper sa chaleur, tandis qu’elle en reçoit du soleil pendant d’autres, la disparition des forêts, en supprimant un écran protecteur, rend le climat plus extrême, c’est-à-dire plus froid en hiver, plus chaud en été. Les vents soufflent alors sans obstacle et balaient la neige qui abritait le sol et qui, accumulée dans les fonds, occasionne, au moment du dégel, des inondations dans les vallées. La surface du globe, au lieu d’absorber les eaux pluviales, devient un amas de poussières que celles-ci entraînent avec elles ; les ruisseaux, à sec pendant l’été, sont des torrens furieux en automne et au printemps ; les montagnes, en se désagrégeant, obstruent les fleuves de leurs débris qui s’accumulent dans les estuaires et forment des bancs dangereux pour la navigation ; la couche végétale enlevée laisse le roc à

  1. L’eau dont la ville de Constantinople est abreuvée provient de réservoirs qui sont alimentés par des sources venant de la forêt de Belgrade. A la suite d’exploitations qui y furent faites, les eaux diminuèrent au point qu’il fallut retirer les concessions pour laisser repousser le bois dont la présence rendit aux sources leur ancien débit.