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cette grandeur que la mort imprime sur un noble visage. Même réduite à ces trois personnages, cette scène de désolation et d’amour en face d’un cadavre atteint dans sa simplicité à l’éloquence la plus pathétique. L’exécution aussi large que fine est très personnelle, et les colorations, bien que graves, aboutissent à la plus riche harmonie, parce qu’au lieu d’entrer en lutte et de se neutraliser par leur violence même, comme chez les primitifs, elles se font valoir et s’exaltent mutuellement. C’est ainsi que, sans renier aucune des aspirations que nous avons vues poindre dans l’école, Bellini a su les accommoder entre elles et trouver ces tempéramens et ces conciliations qui caractérisent la maturité d’un art.

On comprend mieux la grandeur de Bellini quand on voit ses contemporains et même plusieurs de ses élèves persister dans le style archaïque dont il avait su s’affranchir. Une Vierge glorieuse, l’ouvrage le plus important qu’ait produit Advise Vivarini, appartient aux derniers temps de sa vie. L’exécution en est cependant sèche ; et dure et le caractère assez farouche. Mais le Saint George couvent de son armure et surtout le Saint Sébastien, placés l’un et l’autre ; à chaque extrémité de la composition, sont deux figures pleines de force et d’une grande beauté de couleur. Ce dernier saint, élevant ses deux mains vers la Vierge dans un élan d’amour, soutient la comparaison avec celui qu’a peint Antonello, que d’ailleurs il rappelle. Enfin, malgré le mérite désœuvrés qu’ils ont ici, M. Basaiti, V. Carpaccio et Cima da Conegliano se montrent très inférieurs à Bellini ; avec eux l’école est restée stationnaire et parfois même a rétrogradé. Elle touche cependant. à son apogée. Mais, nous l’avons dit, les chefs-d’œuvre où s’est manifestée son éclatante originalité, ce n’est pas au musée de Berlin qu’il faut les chercher. Giorgione en est absent, et Titien n’y est représenté que par quatre portraits, dont l’état de conservation laisse fort à désirer. L’un d’eux, une esquisse vivement enlevée, est une répétition à peine modifiée du tableau des Offices qui nous montre le peintre lui-même déjà dans sa vieillesse, mais encore plein de verdeur et de force. Un autre, à notre avis le meilleur, celui de l’Amiral Giovanni Moro, un personnage à large cou et à l’épaisse carrure, est superbe d’énergie et de décision. Il y a quelque lourdeur, au contraire, dans l’exécution du Portrait de la fille de Roberto Strozzi, une enfant à la tête mignonne, coiffée d’une forêt de cheveux courts et bouclés, mais dont la physionomie immobile paraît celle d’une petite vieille. Au lieu de ce travail un peu pénible et appuyé, on souhaiterait ici la légèreté de pinceau et la fraîcheur d’intonations que certainement Velasquez ou Van Dyck auraient su y mettre. La peinture d’ailleurs a beaucoup souffert. Quant au Portrait de Lavinia, la fille du Titien, il est justement célèbre, et l’artiste avec quelques légers changemens