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étaient fort suivies, et entre Bruges et Venise particulièrement, le trafic commercial amenait des échanges constans et réguliers. Les œuvres de Van Eyck, de Memling, et d’autres encore arrivaient jusqu’en Italie, et parmi les artistes eux-mêmes : Hugo van der Goës et Rogier van der Weyden inauguraient des migrations, qui, pendant longtemps, devaient se poursuivre, et, grâce à un prestige assez explicable, développer un courant de plus en plus marqué du Nord vers le Midi.

Un des rares Italiens qui, remontant ce courant, ait poussé vers le Nord, Antonello de Messine, est un artiste d’une valeur peu commune et les trois tableaux du musée de Berlin confirment la haute opinion qu’il convient d’avoir de son talent. Avec ses traits fins et distingués, son aimable physionomie et l’élégante simplicité de son costume, ce Portrait de jeune homme qui se détache avec tant d’éclat sur un fond de ciel et de paysage d’une profondeur intense, est une merveille d’exécution. La science du dessinateur y égale la puissance du coloriste. Ce n’est pas seulement l’introduction des procédés de la peinture à l’huile qui nous révèle ici les enseignemens de Van Eyck, mais la facture elle-même offre avec celle du maître flamand des analogies formelles et on ne retrouverait dans la peinture italienne aucun autre exemple du style de ces petits portraits d’Antonello. Il eût été intéressant de connaître la date de ce précieux ouvrage, mais les deux derniers chiffres du millésime qui accompagne la signature du peintre, — absolument pareille d’ailleurs à celle de notre portrait du Louvre, — sont à peu près Illisibles. Dans le Saint Sébastien, un sujet qu’Antonello a souvent traité, l’influence de Van Eyck n’est plus sensible. Si la précision du dessin s’accuse toujours aussi scrupuleuse, les formes de ce corps nu sont plus choisies, les carnations ont plus d’éclat et l’exécution a gagné en largeur et en liberté. Le type aussi est bien italien et ce beau visage avec ses longs cheveux qui retombent sur les épaules à une expression touchante de souffrance et d’angoisse. La conservation d’ailleurs est parfaite et montre l’excellence d’une pratique apprise en bon lieu.

Dans Giovanni Bellini, il faut saluer le véritable fondateur de r école vénitienne et le maître qui assura son émancipation. Son Christ mort et pleuré par sa mère et par saint Jean est un chef-d’œuvre dans lequel, sans recourir aux crispations exagérées en usage chez ses devanciers, Bellini a su peindre la douleur dans ce qu’elle a de plus poignant. La figure de la Vierge est vraiment sublime ; elle ne peut se résoudre à accepter la certitude de son malheur et, dans son désespoir, elle entoure son fils de ses bras ; comme si elle sortait d’un rêve, elle a besoin de le toucher pour s’assurer de l’horrible réalité. Quant au Christ, il a cette majesté et