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main un Homère dans lequel il lit ; un Virgile est à côté et son autre main s’appuie sur un volume qui porte au dos le nom de Bembo, un des auteurs les plus en vogue à cette époque. Cette main, blanche, effilée, d’une finesse toute féminine, retombe avec une grâce nonchalante ; elle ne serait plus en état de tenir une épée.

Deux Saintes Familles, de F. Francia, qui ont bien le charme habituel de douceur et de pureté que ce peintre sait donner à ses vierges, représentera Berlin la meilleure part de l’école de Bologne. Au moment de la riche expansion de l’art italien, il n’est guère de petite ville, d’ailleurs, qui n’ait eu alors son école locale, partagée le plus souvent par les influences qu’exercent sur elle les centres plus importans placés à proximité ; Située entre Padoue et Bologne, Ferrare a aussi ses peintres, qui, tour à tour, subissent l’action des écoles de ces deux villes. La Vierge glorieuse de Cosimo Tura, le plus important de ses tableaux, semble même, avec ses rudesses anguleuses et ses détails exubérans, une réminiscence du gothique allemand. Un autre Ferrerais, Lorenzo Costa, élève de Tura, après avoir imité la sécheresse de son maître, nous offre dans une grande composition signée et datée de 1502, la Présentation au temple, un style plus assoupli, des formes plus correctes et une couleur moins brutale. Fixé de bonne heure à Bologne, Costa y est devenu lui-même le maître de Francia, qui, bientôt, l’a surpassé, et par une de ces influences à rebours dont l’histoire fournit plus d’un exemple, — celui de Pérugin et de Raphaël entre autres, — c’est le disciple qui, à la fin, a réagi sur le maître.

Le plus souvent, du reste, les peintres de ces écoles secondaires n’ont pas une personnalité bien marquée. Ils flottent indécis entre les tendances auxquelles les inclinent l’enseignement qu’ils ont reçu, leurs relations et le milieu même où ils vivent. Mais il n’est cependant si petit centre où un artiste bien doué, quand il s’applique à féconder par le travail les dons qui lui ont été départis, ne puisse atteindre une originalité supérieure. Corrège en est la meilleure preuve. Sortant de ses mains, sa Léda devait être un de ses ouvrages les plus charmans. La composition en est délicieuse, et ces jeunes filles, qui, à l’ombre de grands arbres, s’ébattent au milieu de l’eau, animées, rieuses, un peu émues cependant de la poursuite de ces beaux cygnes contre lesquels elles ne se défendent que mollement, la grâce de leurs formes juvéniles, la richesse de la végétation et la poésie du paysage, tout cela fait un ensemble que Corrège seul pouvait imaginer. En mêlant comme pour un innocent badinage ces oiseaux et ces fillettes, l’aimable peintre a su esquiver ce qu’un pareil sujet pouvait avoir d’un peu risqué. Ainsi comprise, la scène présente un caractère d’ingénuité joyeuse qui aurait dû, ce semble, préserver ce tableau des outrages, qui, malheureusement,