Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 51.djvu/130

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Aussi, à défaut des enseignemens paternels que la mort de Giovanni l’empêcha de recevoir, le jeune Raphaël devait du moins à son père, avec l’héritage d’honneur qui s’attachait à son nom, le bénéfice des conseils et de la sympathie qui l’assistèrent à ses débuts. Il est touchant d’étudier ici les premiers essais du grand Urbinate et de suivre ses rapides progrès dans le court intervalle d’environ six ans, pendant lequel ont été exécutées les quatre peintures du musée de Berlin. Leurs différences sont d’autant plus faciles à constater que toutes représentent le même sujet : la Vierge et l’Enfant Jésus. La première en date a été peinte vers 1501 dans l’atelier du Pérugin. C’est le travail d’un écolier docile, appliqué, respectueux. La Vierge avec ses petits yeux, sa bouche en cœur, ses joues pleines et vermeilles, a bien le type consacré par le maître. D’une main, elle porte le livre dans lequel elle lit ; de l’autre, elle tient le pied de l’enfant assis sur ses genoux. Celui-ci est évidemment copié d’après nature, et si l’expression de son visage ne manque pas de grâce, le bas de son corps, et surtout son ventre gonflé et rebondi, ont été un peu trop scrupuleusement empruntés au modèle. Cependant, à côté de cette inexpérience et de ces fautes de goût, Raphaël a déjà cette simplicité hardie, qui est le privilège des maîtres, et s’il rencontre dans la nature quelqu’un de ces traits familiers où se marque le sentiment de la vie, il sait aussitôt en tirer parti. C’est avec une vérité charmante qu’ici, par exemple, il est arrivé à exprimer le geste de cet Enfant Jésus qui, tenant à pleines mains un chardonneret, le serre avec la gaucherie de son âge entre ses petits doigts, partagé qu’il est par la crainte de faire souffrir l’oiseau et celle de le laisser échapper. Peu à peu, les compositions de l’élève du Pérugin acquerront plus de souplesse, les lignes plus de grâce, et les formes plus choisies montreront un plus intime accord entre l’expression de la beauté et celle de la vie. Le paysage aussi aura un rôle plus important, et dans les fonds de cette Vierge du duc de Terra-Nova, qui est, avec la célèbre Madone du grand-duc, une des inspirations les plus élevées de sa jeunesse, on dirait que Raphaël a voulu reproduire les horizons de sa vallée natale, comme si de Florence, où il était fixé, il aimait encore à reporter sa pensée vers le pays où s’était passée son enfance. L’aspect harmonieux et l’éclat de cette composition semblent promettre un coloriste, et les vêtemens comme les chairs s’enlèvent avec une singulière puissance sur le ciel d’un bleu transparent et doux. Mais le sentiment de la couleur sera intermittent chez Raphaël, et dans maint tableau, même des plus admirés, on relèverait des partis-pris de carnations rougeâtres, des écarts ou des duretés d’intonations qui, bien loin d’être utiles à ses compositions, les déparent. Le peintre a pu. avoir des défaillances ; le dessinateur, au contraire, ira jusqu’à la fin