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pénitence de cette nudité païenne, car, — et c’est encore là un des traits de cette nature originale et richement douée, — Botticelli s’est montré un des plus fervens adeptes de Savonarole. Il avait même poussé l’enthousiasme pour les prédications du réformateur jusqu’à vouloir se retirer dans un cloître, et les instances de Lorenzo de Médicis purent seules le décider à reprendre ses pinceaux.

Une prodigieuse activité animait alors, on le voit, cette pléiade d’artistes dont le nombre et le talent croissaient de jour en jour. Un des plus grands parmi eux, le plus grand peut-être que l’Italie ait produit dans l’intervalle qui sépare Masaccio de Léonard, Luca Signorelli, nous montre au musée de Berlin deux ouvrages fort important, mais tous deux d’un caractère bien différent. Dans les figures de saints peintes sur les volets qui décoraient autrefois un autel de l’église Saint-Augustin à Sienne, toute trace du faux goût et du maniérisme que nous avons observés chez Botticelli a disparu. On sent un art instruit par les plus fortes études et mûr désormais pour réaliser les plus hautes conceptions. Avec la beauté de l’exécution, la largeur du modelé et la science du clair-obscur, il y a là quelque chose de la grandeur de Michel-Ange, dont l’admiration pour Signorelli s’est d’ailleurs traduite par des emprunts formels. L’autre composition du maître de Cortone, quoique d’une conservation beaucoup moins satisfaisante, offre cependant encore plus d’intérêt. Le peintre a pu s’y livrer plus librement à son génie, et en abordant un sujet mythologique, il lui a donné une expression à la fois originale et élevée. Assis sur un rocher qui domine un paysage sévère, Pan est entouré de bergers, de nymphes et de satyres dont les uns soufflent, comme lui, dans leurs flûtes de roseau, pendant que d’autres prêtent l’oreille à ce concert rustique. Des peaux de bêtes ou des guirlandes de pampre cachent seules leur nudité., Plus loin, deux nymphes se reposent sous un massif de grands arbres. Tout au fond, on aperçoit des cavaliers à côté d’un arc de triomphe et, sur la droite, l’entrée d’une caverne pratiquée dans des rochers. L’aspect austère de la composition ne répond guère aux idées qu’éveille le nom de Pan ; mais le jeune dieu, loin de personnifier les ivresses de la vie sensuelle, représente ici, au contraire, la poésie de la nature et ses harmonies rythmées par la musique. Pour symboliser ce double caractère, le peintre, en même temps qu’il donnait à Pan des jambes velues et des pieds de bouc, mettait dans le haut de son corps l’élégance et la beauté d’un être supérieur. Avec les longues boucles de cheveux qui l’encadrent, son visage inspiré semble celui d’Apollon. Ses compagnons, beaux comme lui, dans des attitudes pleines de noblesse, étalent sous un ciel éclatant leur chaste nudité et s’agencent avec les lignes du paysage de la façon la plus naturelle et la plus