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eu sous les yeux le réalisme expressif de Donatello ou cette grâce souveraine qui anime les figures de Ghiberti et que Raphaël lui-même, — qui s’en est tant inspiré, — ne devait point dépasser. Par une étrange anomalie, tandis que dans le Tabernacle d’Or San Michèle, par exemple, ou dans les Portes du Baptistère, les sculpteurs abordaient les compositions les plus compliquées et les remplissaient de mouvement et de vie, la peinture, au contraire, revenant à l’archaïsme des premiers jours, alignait sur un même plan des personnages raides, immobiles, et régulièrement espacés. Il fallait que de nouveau un artiste de génie vînt rompre le cercle de ces étroites conventions. Cet honneur était réservé à Masaccio. Sa courte vie et les importans travaux décoratifs qui lui furent confiés expliquent la rareté de ses œuvres et rendent d’autant plus précieux deux petits tableaux entrés récemment au Musée de Berlin et qui proviennent de l’église del Carminé de Pise. Dans l’un d’eux, l’Adoration des mages, la largeur et la beauté du dessin sont admirables. L’Enfant Jésus seul, un petit être chétif et mal tourné, fait exception ; mais la représentation de l’enfance a toujours été l’écueil des écoles primitives. En revanche, les mages qui, descendus de leurs chevaux, offrent à la Vierge leurs présens, procèdent d’un art accompli. Il y a là entre autres deux personnages à chaperons noirs, drapés à la mode florentine dans de grands manteaux gris foncé, deux portraits évidemment, dont les visages sont pleins de vie et de naturel. Jamais jusqu’alors on n’était entré si avant dans l’étude de la physionomie et de l’individualité humaines ; jamais on n’en avait exprimé avec cette pénétration les traits caractéristiques. On sent, avec un amour sincère de la nature, un talent assez souple pour n’être arrêté par aucune difficulté et à côté des chevaux que Vasari vante à bon droit pour leur élégance, il convient de signaler ce fond de paysage qui accompagne si heureusement la scène et dont la simplicité et l’harmonie sont empreintes d’un sentiment tout moderne. Le pendant de cette Adoration, bien que de même taille, est divisé en deux comparu mens et les deux sujets qui y sont réunis : le Crucifiement de Saint-Pierre et la Décollation d’un autre saint, offrent les mêmes qualités d’exécution, Le modelé du corps du saint Pierre, l’effort du bourreau pour frapper sûrement avec sa large épée les visages attristés des soldats témoins des deux supplices, la justesse des altitudes de toutes ces petites figures, les contrastes ou les nuances des sentimens qu’elles font paraître, tout cela aussi est bien nouveau dans l’art, et après Masaccio il faudra près d’un demi-siècle pour rencontrer encore des dons aussi rares.

Du moins, après des enseignemens et des exemples pareils, la peinture va désormais tendre d’un pas plus rapide et plus sûr vers