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honnête maison. Mais Van der Meer n’est pas toujours si édifiant et il s’égare parfois en de singulières compagnies.

Celles de J. Steen sont encore plus risquées. La pruderie n’est pas le fait de ce joyeux compère et il ne se prive ni des allusions égrillardes, ni des plaisanteries salées. Avec ce vieux libertin égaré dans un mauvais lieu où des drôlesses de tout âge sont en train de le dévaliser, et cette Dispute au jeu qui tourne au tragique, voici un des bons ouvrages du peintre : le Jardin d’auberge. La société n’y est pas nombreuse, et il n’est pas besoin non plus de vous dire qu’elle est assez mêlée. Quelques rares consommateurs s’espacent devant des tables peu garnies, et l’un d’eux, faute de mieux, lutine assez vivement la servante. Au premier plan, Steen s’est représenté lui-même assis à une des tables et réduit, pour ce jour-là, à bien maigre pitance. Il pèle un hareng dont son chien attend sa part. Le régal, est mince, mais le peintre n’a pas pour cela perdu sa belle humeur. D’un air narquois, en regardant le spectateur, il rit à sa propre misère. Vous pouvez compter qu’il prendra sa revanche. Du moins la peinture a profité de cette détresse momentanée, car elle est cette fois plus étudiée, plus fine, menée plus loin. Elle est plus reflétée aussi et dénote des observations de plein air, évidemment prises ici sur nature, mais que Steen n’a pas eu souvent occasion de renouveler. Avant de devenir le gendre de Van Goyen, Steen pourtant avait été son élève. Il n’y paraît guère dans son œuvre et la campagne n’y tient pas une grande place. Avec ses quelques arbres rabougris, ce jardin d’auberge est, à notre connaissance, la seule excursion qu’y ait jamais faite ce bon vivant qui n’aimait pas à s’écarter de la ville et trouvait expédient de contenter tous ses goûts en tenant lui-même un cabaret.

Nous pouvons heureusement rencontrer ici des interprétations plus autorisées de la nature hollandaise, et les paysagistes, nombreux au musée de Berlin, y sont représentés par des exemplaires de choix. Nous ne parlerons donc que de ceux qui ont quelque révélation nouvelle à nous faire. A. Van der Venne est de ceux-là, et, l’un des premiers parmi ses confrères, il a cherché autour de lui ses inspirations. Elles ne devaient pas lui manquer, car c’était un esprit singulièrement actif et doué des aptitudes les plus diverses. Ce paysagiste devenait, à l’occasion, peintre de genre ou peintre de portrait, poète même à ses heures. Il est un des rares artistes chez lesquels on peut noter quelque trace des événemens politiques ou des passions religieuses qui agitaient alors la Hollande. Dans le grand tableau allégorique du musée d’Amsterdam, mettant en présence catholiques et protestans, il nous a montré de quel côté étaient ses préférences, et une fête donnée à propos de la trêve de 1609