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la belle figure du même saint dans la Mise au tombeau du Louvre, une des plus sublimes inspirations du Titien. Mais la disposition générale, l’harmonie expressive de la couleur et de l’exécution, l’élégance et l’abandon du corps du Christ, le désespoir touchant de Madeleine et de la Vierge, sont autant de traits qui appartiennent bien à Van Dyck. Comme tout artiste qui sent sa valeur, il n’a pas subi passivement l’action des maîtres avec lesquels il vient de vivre en Italie ; son admiration a été féconde, il a développé à leur contact les côtés délicats et tendres de son propre talent, et il s’est assimilé les enseignemens qui convenaient le mieux à sa nature. Un seul portrait, celui du Prince de Carignan, mérite d’être cité après ce Christ ; encore n’a-t-il, malgré sa valeur, qu’une importance secondaire dans l’œuvre da Van Dyck.

Nous glisserons rapidement sur les autres élèves ou contemporains de Rubens, sur Snyders, Breughel et Teniers, qui, bien que très convenablement représentés au musée de Berlin, n’y ont pas cependant de révélations très neuves à nous faire. Brauwer nous réserve, au contraire, une vraie surprise en nous offrant ici un des rares spécimens de son talent de paysagiste. Ce Berger, signé de son monogramme, suffirait à justifier à nos yeux, et mieux encore qu’aucune autre de ses œuvres, la haute estime où le tenaient les deux plus grands artistes de son temps, Rubens et Rembrandt. Le motif est cependant des plus humbles. Au milieu d’une pauvre campagne, assis sur un tertre de sable où croît une herbe sèche et clairsemée, un petit pâtre, entouré de quelques moutons, joue du chalumeau près de son chien, qui, les yeux fixés sur lui, paraît goûter cette rustique distraction. Plus loin, on découvre une chaumière à demi cachée dans les arbres, et derrière des broussailles rabougries, s’étend une maigre prairie gagnée sur la dune qui ferme l’horizon. Au-dessus, un ciel léger, vif, argentin, avec un soupçon de bleu brouillé dans des nuages blancs. Ces élémens sont bien modestes, en vérité, mais la peinture est exquise. Merveilleuse de facilité et d’à-propos, sans appuyer jamais, sans paraître même y prendre garde, l’exécution donne du prix à tout ce qu’elle touche. L’harmonie n’a pas été obtenue non plus par des moyens bien compliqués ; quelques tons passés, des verts neutres, des gris bleuâtres, des jaunes et des rouges amortis en font tous les frais. De ces couleurs, qui n’ont rien de rare, Brauwer a tiré les plus charmantes résonances et les accords les plus finement nuancés. C’est le propre des maîtres de beaucoup exprimer avec si peu d’effort et de trouver des richesses à côté desquelles bien d’autres avant eux sont passés. Il semble qu’échappé pour un moment aux taudis enfumés où il vit d’ordinaire, Brauwer ce jour-là se soit enivré d’air et de lumière. Tout lui paraît radieux, limpide, enveloppé ; formes et couleurs sont