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voir, vous seriez tenté d’oublier que le procédé lui-même ici est nouveau, et que le peintre en est l’inventeur. Ces panneaux, ces huiles, ces couleurs, il a dû les préparer, et tous ces soins, dont depuis longtemps nos artistes, se sont déchargés, ont été pris avec une telle vigilance, ils aboutissent à. une pratique si excellente, tout cela est si indissolublement uni, si résistant qu’après plus de quatre siècles et demi l’œuvre semble faite d’hier. Elle est restée intacte et éclatante sous son émail, tandis qu’à peine terminées, et souvent Dieu sait comme ! la plupart des peintures de, notre temps se ternissent déjà ou s’en vont en lambeaux.

Le musée de Berlin possède encore deux autres œuvres de Jean Van Eyck ; , l’une, signée et datée de 1438, porte la modeste devise du peintre : « Als ich kann » (Du mieux que je peux). C’est une tête de Christ de grandeur naturelle, vue de face et qui présente bien le même caractère que la figure de Dieu le Père dans l’Adoration de l’Agneau. L’autre est ce curieux portrait de l’homme à l’œillet, provenant de la collection Suermondt et que la belle gravure de M. Gaillard a fait connaître. Le travail des années est accusé d’une manière impitoyable sur le visage terne, parcheminé, sillonné de rides et de plis nombreux. Mais le regard de ce petit œil gris est resté clair, et l’expression de cette physionomie prudente et un peu soupçonneuse demeure encore singulièrement vivante.

Ainsi que toujours on peut l’observer au début de l’histoire de l’art, à l’apparition de génies tels que les Van Eyck succède une période d’assimilation, de recueillement, de recherches partielles et ingrates. Les foules qui suivent ces hommes extraordinaires ne vont point du même pas. Embarrassées dans les difficultés de la route, il leur faut parfois bien des efforts pour qu’elles les rejoignent sur les sommets où seuls, du. premier coup, ils sont parvenus. Comme en Italie après Giotto, en Flandre après les Van Eyck, ce temps d’arrêt sera long. Le talent n’est guère moindre cependant chez leurs successeurs, notamment chez Van der Weyden et Dyrk Bouts, dont le musée de Berlin possède d’importans ouvrages. Mais ce talent d’exécution très réel s’allie à des étrangetés de style ou de composition qui, dans l’école, deviendront de plus en plus déplaisantes. Après une éclosion si brillante, la peinture semble rétrograder et son habileté toute matérielle est impuissante à masquer les fautes de goût qui se voient dans la plupart de ses productions à cette époque. On est heureux quand, par hasard, le charme d’un sentiment plus personnel arrive à s’y faire jour, comme dans cette Vierge de Memling qui, bien que fatiguée par le temps, montre la fleur de poésie et l’expression de suavité qui font l’originalité de ce maître. Après Memling d’ailleurs, la forte unité de l’école primitive est bientôt rompue et, parmi les œuvres assez nombreuses que compte ici cette