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assez large place. Maître Wilhelm et ses prédécesseurs anonymes avaient ébauché, non sans grâce, le programme de cet art nouveau, et vaguement ils en avaient pressenti les voies. Mais, sans parler des procédés qu’inauguraient les Van Eyck, il y a dans leurs compositions, dans leur dessin, dans leur coloris quelque chose de voulu, d’achevé, de parfait qui dépasse de bien loin ces timides tâtonnemens. Quelle qu’ait pu être l’influence de l’école rhénane, en Flandre même, un goût plus pur et un sentiment plus élevé de l’art s’étaient depuis longtemps manifestés dans la statuaire de bois ou de pierre, et surtout dans la peinture des miniaturistes. A la cour des ducs de Bourgogne, l’une et l’autre brillaient d’un vif éclat, et quand on cherche l’origine et le centre de ce mouvement de rénovation qui se produisit alors dans les lettres et dans les arts au nord de l’Europe, c’est toujours, on le voit, vers les princes de cette maison que l’on est ramené. Les « ymaigiers » qui travaillaient pour eux étaient les plus renommés de ce temps, et la bibliothèque qu’ils avaient formée passait à bon droit pour « la plus riche et noble librairie du monde. » Le soin même que prenait Philippe le Bon d’attacher Jean Van Eyck à sa personne en qualité de « peintre et valet de chambre » témoigne autant en faveur du talent de l’artiste que du goût du prince. Celui-ci d’ailleurs n’avait eu qu’à s’applaudir de son choix. Dans cette condition d’une domesticité qui, à cette époque, n’avait rien d’humiliant, Van Eyck s’était montré fidèle serviteur et peintre habile. Chargé à plusieurs reprises de missions lointaines et délicates, il s’en était acquitté avec honneur. Au retour d’un voyage à Lisbonne, entrepris pour aller faire le portrait de la princesse Isabelle de Portugal, que Philippe avait eu un moment la pensée d’épouser, il avait reçu de nouvelles preuves de la bienveillance du duc, qui se plaisait à vanter « sa loyauté et prudhomie. » Entouré de ces précieux encouragemens, le peintre, en se fixant successivement à Bruges et à Gand, ne pouvait trouver pour le développement de son talent un milieu plus favorable que ces deux villes dont, à ce moment, la richesse et la culture intellectuelle étaient tout à fait remarquables.

Si grande cependant qu’on suppose la part de ces secours extérieurs, le génie des Van Eyck peut seul expliquer des œuvres dont l’originalité et la perfection laissent à une telle distance tout ce qui s’était fait jusque-là. Quand, à la mort de son frère, Jean resta seul chargé de l’achèvement du travail commandé par Jodocus de Vydt, le double emploi de peintre et de valet de chambre était loin, paraît-il, d’absorber son activité, car de 1426 à 1432 il put le mener à fin. C’est certainement à cette époque qu’il convient, en effet, de rapporter l’exécution des panneaux du bas, dans lesquels les souvenirs de la végétation du Midi ont trouvé place. Jean était alors