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dimensions plus restreintes, sont de purs chefs-d’œuvre et constituent, à notre avis, la partie la plus remarquable de ce prodigieux travail. À gauche de l’Adoration de l’Agneau (le tableau central, remplacé ici par la copie de Michel Coxie), les Défenseurs du Christ mène leur brillante chevauchée. Magnifiquement parés, toute étincelans de pierreries, les rois, les princes, les guerriers s’avancent, les étendards flottant au vent, l’épée au poing, résolus, pleins de courage et sûrs de vaincre. À côté d’eux, les Juges intègres, dans des costumes plus pacifiques, cheminent paisiblement sur leurs débonnaires montures ; Parmi eux la tradition veut que les deux peintres se soient représentés : Hubert, au premier plan, monté sur un cheval blanc, emmitoufflé dans une pelisse fourrée, un visage honnête, placide, avisé, et, un peu plus loin, Jean, de physionomie plus vive, l’air avenant, le regard, observateur. Entre toutes ces figures, dont pourtant l’individualité est si nettement accusée, il n’en est pas, en effet, qui semblent plus vivantes, ni mieux caractérisées que celles de ces deux cavaliers. À droite, faisant pendant aux juges et aux guerriers, les Ermites aux longues barbes blanches, sortent de leurs grottes ou de leurs retraites., Leurs attitudes sont graves, leurs visages austères et vénérables, et sur leurs robes de bure pendent les chapelets qui mesurent pour eux les longues heures de la vie solitaire. Madeleine et Marie l’Égyptienne sont confondues dans leurs rangs. Enfin, sur le dernier panneau, saint Christophe ; un géant à la mine sauvage, marche à la tête de la troupe des Pèlerins et guide à travers le monde leur course aventureuse pour les amener aux pieds de l’Agneau, le centre et l’objet des toutes les adorations de ces fidèles serviteurs. Derrière ce cortège où se trouvent réunies toutes les conditions de la société chrétienne, un admirable paysage ouvre ses vastes horizons. Des prairies émaillées de fleurs étendent leur tapis, et du milieu des sombres végétations qui couronnent les rochers, sortent ça et là les silhouettes d’ambres exotiques, des orangers chargés de fleurs et de fruits, des cyprès, des pins parasols et des palmiers. Sur les montagnes s’étagent des villes et des châteaux forts, et des volées d’oiseaux s’ébattent librement dans le ciel d’un bleu profond, où’ flottent quelques nuages d’argent.

Telle est cette œuvre grandiose et complexe qui défie toute description. D’où venait donc cet art qui, à peine né, apparaissait ainsi armé de toutes pièces et osait affronter de pareils sujets ? Comment s’était-il affranchi des lenteurs qui, d’ordinaire, accompagnent toute tentative humaine ? Comment, se posant, dès ses débuts, les plus difficiles problèmes, arrivait-il, du premier coup, à les résoudre tous ? Parmi les causes qui peuvent expliquer sa subite apparition, les exemples des peintres de l’école rhénane ont tenu sans doute une