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beaucoup de vie dans son regard, et il me semble pas que beaucoup d’idées se soient jamais agitées sous son crâne dépouillé, à la peau amincie, luisante et collée ami tempes. L’Annonciation complète la série des sujets représentés sur les volets extérieurs. Les Van Eyck n’en ont pas modifié les données habituelles. Enveloppé dans un grand manteau blanc richement brodé d’or et retenu par une agrafe de pierres précieuses, l’ange Gabriel s’avance vers la Vierge, et tenant d’une main une tige de lis blanc, de l’autre il salue Marie. Celle-ci, vue de face, agenouillée, est chastement drapée dans un long vêtement blanc dont les plis épais retombent autour d’elle. Les mains croisées sur sa poitrine et les yeux levés au ciel, elle manifeste son humble abandon à la volonté divine. Au-dessus, plane la colombe mystique. Au fond, à travers les colonnettes des deux fenêtres gothiques, on aperçoit les toits de maisons d’apparence modeste, peut-être l’habitation des donateurs, avec leurs pigeons flamands qui se découpent sur un ciel pâle. L’aspect effacé des panneaux extérieurs contraste vivement avec la magnificence et l’éclat que présentent les peintures intérieures. Comme ces parfums subtils qui révèlent aussitôt leur puissance dès qu’on vient à ouvrir les vases qui les contiennent, ainsi la riche harmonie, l’animation, la variété des scènes et la splendeur du coloris se découvrent à vous tout d’un coup quand les volets sont déployés. Ce n’était, au dehors, que l’annonce et la préparation du mystère, vous en voyez maintenant l’accomplissement et la glorification. Groupés autour des imposantes figures de Dieu le Père, de la Vierge et de saint Jean, des anges, presque de grandeur naturelle, apparaissent couverts de robes de brocart rouges, vertes, bleues, ornées des plus riches broderies. Les uns chantent, debout devant un lutrin, pendant que l’un d’eux marque le rythme ; d’autres, rangés à côté de sainte Cécile, assise à son orgue, jouent de divers instrumens. Sur leurs visages ronds et vermeils, aux types bien flamands, le peintre a naïvement exprimé l’ardeur qui anime tous les exécutions de ce céleste concert. Les sourcils froncés, les yeux demi-clos, ils font effort pour se tirer avec honneur du difficile passage où ils sont engagés. Ces détails, d’un réalisme ingénu, peuvent sembler ici un peu puérils, mais tous les arts ont admis, à leur début, ces traits familiers, et les maîtres italiens, bien que leur goût soit réputé plus pur et leur style plus élevé, nous en offriraient plus d’un exemple. Un tel naturalisme, il est vrai, devient moins supportable quand il s’attaque à la représentation du corps humain dans sa nudité. Aussi ne pouvons-nous déplorer beaucoup l’absence, à Berlin, des deux panneaux d’Adam et Eve, qui, distraits de cet ensemble, étalent au musée de Bruxelles leur laideur farouche et un peu bestiale.

En revanche, les quatre panneaux du bas, avec leurs figures de