Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/949

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étaient des enthymèmes, des chries et des apostrophes, » C’est ce qu’a redit le père de La Rue : « L’amour de la politesse et le la justesse du style l’avait saisi dès ses premières études. Il ne sortait rien de sa plume ou de sa bouche, même en conversation, qui ne fût ou qui ne parût travaillé. Ses lettres et ses moindres billets avaient du nombre et de l’art. Les beaux-arts ayant été sa première occupation, principalement la poésie, il s’était fait une habitude et presque une nécessité de compasser toutes ses paroles et de les lier en cadence. » L’abbé Fabre, dans l’Étude qu’il a mise en tête des Lettres à Mme Deshoulières, cite ces jugemens, dont il appelle. N’oublie-t-il pas un peu qu’il nous a lui-même montré Mlle Deshoulières faisant reproche à Fléchier « de mettre trop d’esprit » dans ses lettres? Accordons-lui cependant qu’on ne saurait juger tout à fait des lettres affectueuses de la vieillesse de Fléchier comme des lettres galantes de sa jeunesse. On n’écrit pas à soixante ans comme à trente, et quand on est évêque, après avoir passé par les charges de cour, comme quand on n’était encore qu’un mince abbé, d’hier arrivé de sa province, payant de fadeurs et de petits vers le bon accueil de Mlle de La Vigne et de Mlle Dupré.

Quelqu’un dira peut-être qu’il n’importait pas de maltraiter Fléchier et qu’on pouvait, en vérité, lui passer le stérile honneur d’être élogieusement nommé dans les histoires de la littérature, puisque après tout, combien sont-ils qui le lisent, mais surtout combien qui l’imitent? On conviendra toutefois, si l’on y réfléchit, qu’il importe beaucoup à l’exacte histoire de la littérature du XVIIe siècle que l’on ne commette pas de certaines confusions. Or on prend encore aujourd’hui trop souvent l’Oraison funèbre de Turenne pour un exemplaire accompli de l’éloquence de la chaire au temps de Louis XIV; et vraiment c’est à peu près comme si l’on prenait Astrate, ou Tamerlan, pour le chef-d’œuvre de la tragédie classique, au lieu de Britannicus ou de Bajazet. Mais ce sont là les chefs-d’œuvre de l’esprit précieux, non pas de l’esprit classique, et ce n’est pas la même chose. Les classiques sont de l’école de la nature et de l’antiquité, les précieux sont de l’école du monde et de la mode : les deux écoles sont très diverses, et l’on admire communément dans l’une ce que l’on proscrit et condamne dans l’autre. Les ennemis de Racine reprochaient à son Pyrrhus de n’être pas un galant selon la formule du Cyrus et de la Clélie ; mais Boileau lui reprochait au contraire d’en avoir fait justement ce qu’il appelait « un héros à la Scudéry. » Pareillement, ce que les admirateurs de Fléchier ne se lassaient pas de louer en lui, c’était ces faux brillans que Bossuet faisait profession de mépriser, et ce qu’ils ne pouvaient pas parvenir à goûter de Bossuet, c’était au contraire la superbe familiarité de son éloquence. La rhétorique soutenue de Fléchier ravissait d’aise Mlle de Scudéry, mais elle eût certainement ennuyé Pascal.