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congrégation dont il faisait partie; ses ressources sont modestes et son crédit est nul; ambitieux avec cela : cependant ce n’est pas du côté de Molière qu’il se tourne, et de la cour, mais au contraire du côté des précieuses, et comme les premières amitiés qu’il noue sont avec les Conrart et les Chapelain, la première société qu’il fréquente, c’est la société de Mlle de Scudéry. Remarquez qu’il est habile homme, je veux dire de ceux qui savent connaître d’où vient le vent, et le prendre.

C’est là, chez Mlle de Scudéry, qu’il se lia particulièrement avec deux aimables personnes, toutes les deux jeunes encore, toutes les deux belles, toutes les deux savantes, Mlle de la Vigne et Mlle Dupré, la première plus enjouée, la seconde p’us grave, l’une et l’autre également mêlées désormais à l’histoire du futur prélat.

Mlle Dupré, nièce propre du célèbre Desmarets de Saint-Sorlin, l’auteur de la comédie des Visionnaires, « faisait profession ouverte de sciences, de lettres, de vers, de romans et de toutes les choses qui servent d’entretien ordinaire à celles qui sont précieuses. » Elle était fort des amis du savant Huet. On trouve quelques lettres d’elles dans la Correspondance de Bussy-Rabutin. Son étude particulière était la philosophie, la philosophie de Descartes, qu’elle n’avait peut-être pas approfondie très avant, mais en revanche qu’elle devait jeter souvent dans la conversation, puisque dans le cercle de ses amis on l’appelait la Cartésienne. Il va sans dire qu’elle faisait des vers. Enfin, elle avait d’une vraie précieuse non-seulement l’horreur du mariage, mais encore, en dépit de l’air et du ton galant, le dédain de l’amour, et elle se faisait gloire d’être « incapable de tendresse. » Elle s’occupait aussi d’élections académiques, et si ce n’est pas elle qui fit celle de Fléchier, en 1672, au lendemain de l’Oraison funèbre de Mme de Montausier, elle lui procura du moins la voix de Bussy-Rabutin, ou plutôt elle la lui aurait procurée si Bussy n’avait pas été retenu dans son exil de Bourgogne pour cause, comme l’on sait, d’intempérance de langue et de fâcheuses distractions de plume.

Il ne sera pas inutile d’observer que les mêmes influences qui concoururent en 1672 à faire entrer Fléchier à l’Académie sont celles que douze ans plus tard Boileau rencontrera liguées contre sa candidature. C’est que c’est Boileau qui, par droit de succession légitime, prend, en ce moment même, le rôle que Molière, mourant en 1673, va laisser inoccupé. Molière, en effet, malgré les Précieuses ridicules et malgré les Femmes savantes, pour ne pas rappeler mille autres traits qu’il avancés entre temps contre les précieuses, a si peu gagné la parue qu’il faut que Boileau la joue de nouveau, et l’opinion publique les suit de si loin, et d’un pas si lent, que Boileau de nouveau la perdra.

Mlle de La Vigne, fille de Michel de La Vigne, doyen de la Faculté de Paris et médecin de Louis XIV, est un peu plus connue que Mlle Dupré.