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croît en hommes a été le suivant pour les trois pays que nous comparons ici.


Allemagne 564,094
Royaume-Uni 276,6233
France 96,647

De quelque manière que se pose la question, elle est résolue toujours de même, et toujours au grand détriment de la nation française.

Nous assistons, — il faut que tous les hommes d’état le sachent, — à un phénomène remarquable et qui est peut-être sans exemple dans l’histoire du monde. Au risque de passer pour paradoxal, je dirai que l’immense développement de l’Amérique aux dépens des nations européennes pèse plus dans les destinées du monde et mérite plus d’intérêt que la destitution d’un sous-préfet ou l’élection d’un conseiller général. Mais nos passions politiques et nos petites querelles locales nous occupent tellement que nous ne voulons pas voir ce qui sera en réalité le grand fait dominant l’histoire du XIXe siècle : la création d’un peuple immense, qui dans une cinquantaine d’années, peut-être même au début du siècle à venir, sera en état d’écraser l’Europe, et l’écrasera, par son commerce, son agriculture, son industrie, son armée, qui pourra être formidable, et sa flotte toute-puissante.

Si en effet nous envisageons la progression de la population américaine depuis le commencement du siècle, nous voyons qu’en 1801, d’après la statistique officielle, la population des États-Unis était de 5,305,925. Or elle était pour le même territoire, en 1880, de 50,438,950. Par conséquent, en quatre-vingts ans, la population des États-Unis a décuplé ; de sorte que, si, comme tout le fait. supposer, l’augmentation continue dans les mêmes proportions, en l’année 1960, époque que ne verra certainement pas celui qui écrit ces lignes, mais que verront peut-être ses enfans, il y aura 500 millions d’habitans aux États-Unis, c’est-à-dire plus que dans toute l’Europe[1]. Dans dix-huit ans, ce qui n’est rien pour une nation, la population des États-Unis sera de 85 millions d’hommes, c’est-à-dire plus considérable que ne le sont la France et l’Allemagne réunies.

  1. Si, depuis 1801, la France avait grandi en proportion moitié moindre, il y aurait actuellement sur le sol français plus de cent millions d’habitans. Malheureusement nous avons fait des guerres et de la politique, dépensé notre sang, notre argent et notre intelligence, à des œuvres stériles, au lieu d’accroître la population française.