Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/921

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

D’ailleurs, les phénomènes généraux de la vie d’une nation ont toujours une extrême régularité, et ce ne sont pas seulement les naissances et les décès qui restent à peu près invariables. Le nombre des voyageurs qui circulent sur les lignes de chemins de fer ne varie d’une année à l’autre, et même d’une semaine à l’autre, que très modérément. Le nombre des lettres qui sont distribuées par un bureau postal est sensiblement identique chaque jour, et même, ce qui ne laisse pas d’être surprenant, le nombre des lettres non affranchies, ou portant une indication insuffisante, est à peine modifié. Le nombre des malades ne change guère dans une grande ville. Un hôpital reçoit chaque semaine, sauf les cas exceptionnels des grandes épidémies, à peu près le même nombre de malades, et les proportions relatives de phtisie, de pneumonie, de fièvre typhoïde, sont conservées. Le nombre des objets égarés dans les voitures publiques et apportés à la préfecture de police ne varie pas sensiblement d’une semaine à l’autre. Les crimes commis pendant une année, soit dans une grande ville, soit dans un grand pays, donnent des chiffres très réguliers, ainsi que le témoignent toutes les statistiques criminelles. Et cependant, que de circonstances fortuites, que de caprices et de fantaisies ont déterminé ces crimes[1] !

En faisant le relevé des cas de blessures accidentelles survenant sur la voie publique à Paris pendant le cours de chaque semaine, on voit que ces accidens, dus toujours au hasard, se reproduisent périodiquement, et que leur total ne varie que très peu. Voici, par exemple, d’après le Bulletin hebdomadaire de statistique municipale, rédigé avec tant de soin par M. Bertillon, quel a été, par semaine, pendant dix semaines consécutives prises au hasard, le nombre des accidens suivis de blessures qui ont eu lieu à Paris sur la voie publique :


ACCIDENS SUIVIS DE BLESSURES.

¬¬¬

43 35
43 47
50 49
58 57
41 52

Le maximum, en 1881, a été de 73, et le minimum de 33.

Cette régularité, cette constance dans les phénomènes sociaux, même les plus accidentels, pourrait prêter à de curieuses considérations psychologiques. Qu’est-ce donc que la liberté humaine? et

  1. De 1872 à 1877, dans toute la France, le chiffre annuel des meurtres et infanticides n’a presque pas varié : 360, 341, 352, 352, 327.