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Son accroissement absolu annuel est de 10,000 individus. Au contraire, pour un peuple de 100 millions d’hommes, l’accroissement proportionnel étant le même, l’augmentation absolue sera de 1 million d’hommes par an. Quoique les proportions entre le grand et le petit pays restent constamment les mêmes, la différence absolue croîtra chaque jour, et le petit pays sera de plus en plus écrasé par le grand. Il faut donc, sous peine de périr, et cela à une époque plus ou moins rapprochée, croître en hommes, et cela au moins aussi rapidement que les grands pays qui nous entourent.


Telles sont les raisons, à notre sens très puissantes, qui font qu’un peuple doit regarder comme un mal la diminution de son accroissement. Des considérations d’un tout autre ordre, très puissantes aussi, conduisent au même résultat.

Certes, l’amour de l’humanité est un noble sentiment, et nous devons envers tout être humain, quelles que soient sa nationalité ou sa race, faire preuve de sympathie, de compassion, de justice.


Je suis concitoyen de tout homme qui pense,


a dit un poète, et, sans crainte d’être mauvais Français, nous adoptons complètement cette belle parole. Toutefois, parmi l’immense masse d’hommes qui couvrent le globe, il en est qui nous sont plus spécialement chers : ce sont ceux que le lien d’une patrie commune unit à nous. A côté de l’amour de l’humanité, il y a place pour l’amour de la patrie. Ces deux sentimens ne se combattent point, car on peut identifier le progrès de l’humanité avec le progrès de sa patrie. De même qu’on peut aimer sa patrie et sa famille, de même on peut aimer sa patrie, cette grande famille, et l’humanité, cette patrie de tout être humain. Eh bien ! pour tous les Français qui aiment leur patrie, qui s’intéressent à sa puissance, à son avenir, à son extension dans le monde; pour tous ceux-là l’accroissement moindre de la population est un fait déplorable.

Peut-être nous trouvera-t-on trop naïf d’attacher une importance à cette idée abstraite que nous appelons la France, et de parler de la grandeur de la France comme on parle de la grandeur d’un édifice ou de la grandeur d’un navire. Il nous semble, cependant, que ce mot France représente quelque chose. La France n’est pas une pure abstraction. C’est une personne morale, comme l’a bien dit un orateur célèbre ; et tout bon citoyen doit se préoccuper d’elle.

Qu’est-ce donc et que veut-on dire quand on parle de la grandeur de la France? Il est assez difficile de répondre d’une manière précise. En effet, ce n’est pas une frontière plus ou moins naturelle qui détermine la limite des pays français et de-ceux qui ne le sont