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encore entre les divers peuples européens des différences notables. Certains pays sont plus progressifs que d’autres. Il n’est pas douteux, par exemple, que la Grande-Bretagne, grâce au génie militaire, industriel colonial, de ses enfans, est plus puissante dans le monde que l’Italie, quoique l’une et l’autre nation soient à peu près également peuplées. On pourrait citer d’autres exemples. Mais, quoi qu’il en soit malgré ces nuances entre les diverses civilisations européennes il règne aujourd’hui une uniformité générale, qui fait que la force militaire d’un peuple dépend principalement du nombre d’hommes qui sont en état de porter les armes. Si la Belgique est moins puissante que la France, c’est uniquement parce que la population de la France est huit fois plus considérable que celle de la Belgique ; et si la Grèce avait une population égale à celle de l’Italie, elle occuperait évidemment dans le concert européen une influence égale.

Il faut donc admettre que, plus un pays est peuplé, plus sa puissance militaire est grande. Il me paraît que cette vérité est incontestable, si on ne l’applique qu’aux nations européennes.

De même que la force militaire augmente avec la population, de même augmentent aussi la science, l’industrie, le commerce. Supposons que la France, au lieu de trente-sept millions d’habitans, ait cent millions d’habitans : sa force serait irrésistible, ses armées seraient toutes-puissantes, et elle pourrait, par des milliers de navires, répandre dans le monde entier les produits de son industrie.

A quoi bon? disent certains critiques. Nous reconnaissons que la puissance d’un pays dépend, dans une certaine mesure, du nombre des citoyens qui le composent. Mais est-il nécessaire, pour ces citoyens que leur pays soit puissant? Une nation est formée d’individus, et, pour chacun d’eux, le principal souci est de vivre heureux, tranquille, dans une aisance honnête. Que leur importe d’avoir des flottes nombreuses, une armée permanente d’un million d’hommes, une armée de réserve d’un million d’hommes encore des budgets écrasans, et tous les autres fardeaux de la grandeur? Ce qu’il faut donner à nos compatriotes, ce n’est pas une vaine prépondérance dans les destinées du monde, prépondérance qui importe assez peu a chaque individu : c’est le bien-être, la liberté, la sécurité, otium cum dignitate; au besoin même « la poule au pot » du roi Henri. Or il est facile de montrer que la richesse d’un individu va en diminuant, à mesure que le nombre de ses enfans augmente ; et, inversement, à mesure que les familles sont moins nombreuses, elles sont de plus en plus riches.

On peut en donner la preuve rigoureuse. Supposons deux familles dont les revenus sont égaux, de 10,000 francs par exemple. Dans la