sachant, elle s’en peut défendre : ce que ne pourrait faire Agnès. Jugez ce qu’Agnès fût devenue si Horace, ce qui était possible, eût été un malhonnête homme! Le danger, sans doute, est moins grand lorsque l’ignorante a sa mère, mais il ne cesse pas d’exister, il devrait être prévenu. Je n’hésiterais pas, si j’étais mère, à révéler la maternité à ma fille et à lui apprendre qu’en aimant, c’est à la maternité qu’on s’engage, et que, selon qu’elle a ou non l’aveu du monde, elle sanctifie ou déshonore. La leçon vaudrait bien celle d’Arnolphe, ses chaudières bouillantes et le reste; la jeune fille avertie en serait plus forte; bien des vertiges ainsi lui seraient épargnés et aussi des désillusions cruelles; et comme la vérité est saine, je ne trouve pas que ce serait flétrir sa couronne virginale: aucune âme ne perd à être éclairée. Agnès serait moins ingénue, mais toujours aussi chaste. Et si l’on parlait mariage devant elle et qu’on s’étonnât de la voir, toujours paisible, résoudre son cœur «aux suites de ce mot, » elle répondrait avec Henriette :
Les suites de ce mot, quand je les envisage,
Me font voir un mari, des enfans, un ménage ;
Et je ne vois rien là, si j’en puis raisonner,
Qui blesse la pensée et fasse frissonner.
Ce n’est pas d’ailleurs à ces révélations que se borne le savoir d’Henriette. Qu’on y prenne garde, elle a été élevée comme sa sœur Armande; elle n’a pas poussé aussi loin en philosophie, mais elle est savante, et je ne serais pas surpris que, quoi qu’elle en die, elle sût du grec autant que femme de France. Mais elle a, par dessus toutes choses, cette qualité française, le bon sens, et elle l’emploie, Clitandre vous le dira, à paraitre ignorer les choses qu’elle sait. Elle a des clartés de tout ; sur toutes choses, donc, son mari pourra faire appel à ce tact délicat quelle possède; elle sera sa digne compagne et non sa servante avilie; et quand viendront ces enfans qu’elle envisage d’avance sans frissonner, elle sera pour eux, non-seulement une mère soigneuse, mais une éducatrice accomplie.
N’oublions pas cela en effet : la femme est éducatrice par mission. Il faut donc la mettre en mesure de remplir cette tâche et de former véritablement des hommes; il faut la mettre en mesure surtout de la remplir sans appeler à l’aide certain personnage que nous avons vu poindre derrière Arnolphe et que nous retrouverons dans Tartufe.
En un mot, il faut instruire la femme. Il le faut pour elle, il le faut aussi pour nous. La femme d’Arnolphe, en effet, ne saurait lui procurer que le plaisir : Henriette apportera le bonheur à Clitandre. Il n’y a pas mariage là où il n’y a pas société : il faut que les esprits