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Molière; — ce jour-là donc, Molière en verve improvisa à la pièce un prologue, où il fit un marquis ridicule qui voulait prendre place sur le théâtre, malgré les gardes, — j’ai dit que chez le roi cela n’était pas toléré, — et il eut une conversation comique avec une actrice qui fit la marquise ridicule, placée au milieu de la noble assemblée. Quel dommage que ces impromptus n’aient pas été recueillis, comme ces autres fantaisies, aux titres affriolans, le Fagoteux, le Grand benêt de fils aussi sot que son père, qui sont mentionnés dans le même temps, et où nous eussions surpris l’invention de Molière en déshabillé, et sa muse, comme dit la chanson, un pied chaussé et l’autre nu !

L’Impromptu de Versailles, du moins, nous est resté, cet Impromptu où, mettant bravement les coulisses sur la scène et se livrant tout entier, poitrine ouverte, il fit si rude guerre à tous ses ennemis, osa parodier ses sacro-saints confrères et proclama si haut la supériorité de son art.

Ce fut chez les comédiens une belle colère; j’en rougis encore après deux siècles. Mais nous sommes devenus meilleurs. Villiers écrivit la Vengeance des marquis, encore un méchant petit acte insupportable ; et Montfleury le fils, à l’instar de Rodrigue, épousant la querelle de son père, un peu écorné par Molière, lança l’Impromptu de l’hôtel de Condé, où il y a quelque talent : c’est de là qu’on tire le portrait, si souvent cité, de Molière dans les rôles tragiques, le nez au vent, la tête sur le dos, la perruque pleine de lauriers comme un jambon de Mayence. Mais cette vengeance parut trop lénitive à Montfleury le père, ce gros homme entripaillé, qui faisait le fier, au dire de Cyrano de Bergerac, parce qu’on ne pouvait pas le bâtonner tout entier en un jour. Montfleury couronna la campagne par une infamie grosse comme lui : il présenta au roi une requête dans laquelle il accusa ouvertement Molière d’avoir épousé sa fille.

On sait la réponse de Louis XIV : le 28 février 1664, l’enfant né à Molière six semaines auparavant était tenu sur les fonts de baptême par le duc de Créquy, tenant pour Louis quatorzième, roi de France et de Navarre, et par la maréchale du Plessy, tenant pour Madame Henriette d’Angleterre, duchesse d’Orléans.

On peut dire, j’en conviens, que, pour être grand, l’honneur n’était pas très rare, et que le fils d’Arlequin aussi fut le filleul de Louis XIV; on peut ajouter, je ne l’ignore pas non plus, qu’en protégeant Molière, Louis XIVe avait en vue surtout l’infatigable inventeur d’intermèdes et de ballets qui contribuait si agréablement à l’éclat des fêtes de Versailles; mais quels qu’en fussent les motifs, cette protection du roi couvrant le comédien si venimeusement accusé fait honneur à tous deux, et la postérité ne doit pas trop la