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autant que le permettraient toutefois les intérêts rivaux de la navigation, qui s’y sont fortement opposés jusqu’ici. Mais, au second point de vue, nous ne voyons rien sur les rives du Rhône qui ressemble aux vastes plaines de la Lombardie. Pour trouver un périmètre arrosable de quelque importance, il est nécessaire de projeter des travaux coûteux, des canaux tracés en corniche sur le flanc des montagnes abruptes, enjambant de larges et profondes vallées, occasionnant en somme dix fois plus de dépenses premières, pour réaliser des résultats dix fois moindres.

J’admets pourtant que ces motifs ne soient pas suffisans pour faire rejeter une entreprise que tant d’intérêts réclament. Tant qu’il ne s’agit que d’une question d’argent comme sur le Rhône, il est permis de ne pas s’y arrêter. Mais sur la Garonne, la difficulté est bien plus grande. Ce n’est plus le sol arrosable, c’est l’eau d’irrigation elle-même qui fait défaut. Sans présenter la même uniformité de surface que celles de la Lombardie, les plaines qui s’étagent au nord des Pyrénées, dans le grand circuit de la Garonne surtout, bien que découpées par d’innombrables cours d’eau divergens, n’en pourraient pas moins être desservies par un nombre convenable de rigoles de faîte, s’il était possible de les alimenter à leur origine. Mais c’est précisément cette alimentation qui manque. Les Pyrénées n’ont pas de glaciers, encore moins de lacs régulateurs. Les eaux de pluie et de fonte de neige donnent aux torrens qui les sillonnent des débits de crues considérables pendant quatre ou cinq mois de l’année. Le reste du temps l’approvisionnement est réduit à des quantités insignifiantes. La dernière fois que je l’ai visité, au mois de novembre, le canal de Lannemezan, dont j’ai déjà parlé, pouvait à peine prélever 3 mètres cubes d’eau par seconde sur le débit de la Neste, qui, pénétrant au cœur des plus hauts massifs, est cependant le cours d’eau relativement le mieux alimenté.

Pour donner quelque importance aux dérivations d’intérêt agricole ou industriel dans la région des Pyrénées, il est donc indispensable de suppléer à l’insuffisance des cours d’eau alimentaires, d’en régulariser le régime, ce qui ne peut évidemment se faire que par l’établissement de réservoirs artificiels, jouant le rôle de régulateur des lacs naturels de la Lombardie.

La question des réservoirs est à l’étude depuis qu’on parle de canaux d’irrigation, non-seulement pour la France, mais pour l’Algérie, et après le désastre récent du barrage de l’Habra, il est permis de dire que nous sommes plus loin que jamais d’une solution dans la voie où on l’a cherchée jusqu’ici. On n’a, en effet, entrevu la possibilité d’établir des réservoirs qu’en fermant directement une vallée par un barrage plus ou moins élevé, en arrière duquel s’accumule