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plus belles conquêtes de notre génie industriel, mais elle coûte cher. On ne saurait estimer à moins de 500 francs par cheval la différence annuelle en frais de toute nature que doit entraîner sa mise en service permanent par rapport à une machine hydraulique de même puissance. Estimé sur ces bases, en comptant à 500 francs par cheval-vapeur la puissance mécanique produite par une dérivation, le canal de Marseille, par exemple, représenterait en action mécanique utilisable une valeur cinq fois supérieure au produit brut actuel de ce canal, dont les eaux cependant sont presque toutes affectées à des usages de luxe.

En tenant compte de ces deux sources de revenus futurs, l’état, qui doit savoir faire des placemens à long terme, pourrait sans doute s’imposer des sacrifices momentanés pour la construction de canaux qui, sans donner de rémunération immédiate à leur capital de construction, auraient pour résultat plus ou moins lointain, de stimuler la production industrielle en lui livrant la force motrice à bon compte, en même temps que de féconder le sol par les eaux d’arrosage. Mais quelque avantageux que puisse être en principe l’établissement de canaux industriels et agricoles, leur exécution n’en reste pas moins subordonnée à des conditions matérielles qui sont loin de se trouver réunies en tous lieux.

On cite habituellement comme exemple dont nous devrions nous inspirer, les nombreux canaux qui fertilisent les plaines de la Lombardie. Mais les cours d’eau qui les alimentent jouissent d’abord de cet avantage d’avoir un débit sensiblement uniforme, toujours considérable, surtout dans la saison sèche, deux fois régularisé par les glaciers éternels qui condensent sur les cimes des Alpes les neiges de l’hiver et par les grands lacs existant au pied des montagnes, qui modèrent l’écoulement des eaux de crues. À ce premier avantage, résultant du régime des cours d’eau alimentaires, se joint celui de la disposition naturelle des terres arrosables qui s’étendent en immenses plaines d’alluvions, sur lesquelles il n’y a pour ainsi dire qu’à laisser couler les eaux suivant leur seule pente, pour en assurer le meilleur emploi.

Rien de pareil n’existe en France et en particulier dans les bassins de nos deux grandes vallées méridionales, le Rhône et la Garonne, les seules qu’on ait jamais songé à doter du bénéfice des canaux d’arrosage.

Le Rhône, dont le débit est en partie régularisé par le lac de Genève et les lacs de Savoie, se présente bien sans doute, au point de vue de son régime, dans des conditions, à certains égards, analogues à celles des rivières de la Lombardie. Il a en toute saison un débit considérable qui pourrait desservir de puissantes dérivations,