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Amérique, cette production étant obtenue et même dépassée par bon nombre d’exploitans, et les frais généraux se répartissant sur une longue durée de travail, la dépense du battage par hectolitre ne dépassera pas 60 c. à 70 c. Nos plus grandes fermes produisant rarement plus de 1,000 à 2,000 hectolitres de blé, aucun de nos fermiers ne pourrait acheter et faire fonctionner une telle machine pour son usage exclusif. Ils devront presque tous s’adresser à des entrepreneurs de battage, qui, obligés à de fréquens déplacemens, désirant amortir rapidement les frais d’achat de leur machine, demanderont rarement moins de 2 francs par hectolitre ; et encore le fermier ne pourrait-il profiter de cet avantage que s’il a au moins de 2 à 300 hectolitres de grains. L’entrepreneur ne saurait se déplacer à moins. Tous les producteurs qui seront au-dessous de ce rendement, et c’est le plus grand nombre, continueront à se servir de leurs procédés primitifs de battage, faisant revenir l’opération à 4 ou 5 francs.

En résumé, nous pourrons conclure de ce qui précède que, tout compte fait, nos grandes fermes, disposant d’une assez grande étendue de bonnes terres pour pouvoir se servir d’un outillage perfectionné, pourront soutenir la lutte contre les producteurs américains. Elles auront toujours à leur profit la différence des frais de transport représentant une prime de 7 à 8 francs par hectolitre, suffisante pour maintenir aux bonnes terres une valeur locative ne s’éloignant pas trop des conditions actuelles du prix de rente. Mais pour les petites exploitations, si nombreuses chez nous, et, d’une manière plus générale, pour toutes les terres de qualité inférieure à la moyenne, les conditions relatives de culture seront de plus en plus mauvaises, et l’on doit s’attendre à voir retourner à l’état de friches incultes celles qui ne sauraient donner de produits rémunérateurs.

Cette situation d’un pays dans lequel le dépérissement de l’agriculture locale coïncide avec la prospérité générale la plus grande en apparence n’est pas sans exemple. Un fait analogue s’est produit pour l’Italie au moment de la plus grande puissance de l’empire romain, pour l’Espagne à la suite de la découverte du Nouveau-Monde. Aujourd’hui plus que jamais, grâce aux facilités nouvelles des voies de communication, un peuple qui, en même temps qu’il exercerait au dehors une grande prépondérance politique, saurait, par son commerce ou son industrie, se créer de grandes sources richesses, pourrait se maintenir longtemps en tirant du dehors une part plus ou moins grande des denrées agricoles nécessaires à son alimentation. C’est ce qui se passe aujourd’hui plus encore en Angleterre que chez nous. Cette situation se justifie peut-être chez nos