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leur tranquillité même et leur paresse qu’ils défendent encore plus que leur opinion ; aussi crient-ils plus fort que les autres, et dans leurs attaques emportées on distingue toujours quelque appel plus ou moins formel au bras séculier. Les querelles de ce genre et sur ce ton ne doivent pas se renouveler. Il faut, je le répète, que les plus croyans s’habituent à voir contester lieurs croyances ; il faut qu’ils ne soient plus étonnés, si, dans un siècle où tout se discute, on ose quelquefois discuter l’authenticité de leurs livres sacrés. Le nom même du fondateur de leur religion, de : celui dont les enseignemens ont consolé tant de douleurs, inspiré tant de vertus, il faut qu’ils supportent de le voir devenir, lui aussi, un sujet de controverse. Certes, je plains l’esprit léger qui serait tenté de prononcer ce nom sans respect ; j’ai horreur du plaisant vulgaire qui en fait une occasion de grossières railleries ; mais cela même, dans l’intérêt de la liberté, il faut le permettre. Les plus pieux, les plus convaincus doivent commander à leur indignation, conserver leur sang-froid devant ces outrages, et les regarder comme un résultat inévitable du régime dont ils réclament le bienfait. C’est un devoir pour eux de ne plus crier au scandale, quand ils voient les gens qui pensent autrement qu’eux vivre et mourir selon leurs opinions ; ils doivent montrer qu’ils sont convaincus qu’il n’y a de scandaleux que l’hypocrisie et que tout homme qui, dans ses paroles ou ses actes, rend hommage à ce qu’il croit la vérité, mérite le respect. En se conduisant ainsi, ils donneront plus de force à leurs revendications, ils mettront l’opinion publique de leur côté et persuaderont aux plus incrédules que le jour où les chances mobiles de la politique les ramèneront au pouvoir, ils seront prêts à accorder à leurs adversaires ce qu’ils demandent aujourd’hui pour eux.

Quant au parti qui triomphe en ce moment, le respect de la liberté est pour lui un devoir encore plus strict que pour les autres. Il s’est toujours couvert de son nom ; il lui doit son succès, car c’est en l’invoquant et la promettant qu’il a triomphé. Il est tenu de ne pas manquer à ses promesses et d’être fidèle à son programme. C’est une mauvaise excuse que de prétendre qu’on peut imiter ceux qu’on remplace et qu’ils n’ont pas le droit d’exiger de nous ce qu’ils nous refusaient quand ils étaient les maîtres. Leurs fautes n’autorisent pas les nôtres, et il n’y a rien au monde qui puisse dispenser d’être juste. Ce n’est pas l’être que de profiter de la force que donne le pouvoir pour nuire autant qu’on peut à des croyances qui sont protégées par le droit commun. Il y a une sorte de dérision à prétendre qu’on respecte la liberté d’un culte quand on travaille à lui ôter peu à peu tous les moyens d’exister et qu’on ne s’en cache pas. C’est se moquer du sens commun que de