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que chez nous, mais on ne saurait douter qu’elle n’y soit mieux utilisée et que les autres frais n’y soient incomparablement moindres. Opérant sur de vastes étendues de terrain, à l’état de nature, que la main de l’homme n’a pas arbitrairement morcelés, les Américains ont pu constituer l’usine agricole avec tous les perfectionnemens, toutes les simplifications de travail qu’a déjà réalisés chez nous l’industrie manufacturière. Décuplant la force de l’homme qui les dirige, les machines agricoles, employées sur la plus grande échelle, leur permettent de réaliser avec une merveilleuse rapidité des résultats que nous n’obtenons qu’au prix de coûteux et pénibles efforts. Là surtout est la cause de la supériorité du fermier américain, qui lui permet non-seulement de racheter la différence des frais de transport qu’il a à supporter pour atteindre nos marchés, mais encore de réaliser un surcroît d’économie de prix de revient qui peut rendre toute concurrence impossible de notre part. Là est le véritable danger qui menace notre production nationale, d’autant plus redoutable que, dans l’état de la propriété chez nous, il paraît plus difficile de le combattre.


I.

Au point de vue pratique comme au point de vue théorique, notre agriculture a sans doute réalisé d’incontestables progrès depuis le siècle dernier; mais combien les résultats obtenus sont minimes si on les compare à ceux de l’industrie manufacturière substituant l’usine et son merveilleux outillage au stérile et pénible labeur individuel de l’ouvrier des temps passés! Le moindre métier de filature, avec ses innombrables broches échelonnées, conduit par une seule femme, file plus de laine ou de lin en un jour que ne pouvait en filer à la quenouille toute la population féminine d’un village il y a cinquante ans. Les marteaux-pilons, les laminoirs de nos grandes forges, préparent plus de fer que n’auraient pu en ouvrer cent forgerons frappant à tour de bras sur leur enclume primitive.

Nos laboureurs disposent de meilleures charrues achetées à meilleur marché. Dans quelques grandes fermes, on a appris à se servir de quelques machines, faucheuses, moissonneuses, économisant les trois quarts (et parfois plus) de la main-d’œuvre. Grâce à ces perfectionnemens, l’agriculture a pu se maintenir et payer la main-d’œuvre beaucoup plus cher qu’autrefois sans augmenter notablement ses prix de vente pour les denrées les plus essentielles, telles que le blé, à la condition toutefois d’être encouragée, favorisée, de voir incessamment réduite sa part proportionnelle dans la charge commune des impôts. L’impôt foncier, je viens