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des protestans assez tièdes. Un petit fait me montre une fois de plus avec quelle souplesse, tout en conservant l’esprit général de son enseignement (certain livre d’histoire que j’ai feuilleté en passant dans une salle d’études me l’a bien montré) l’ordre des jésuites sait cependant se plier aux mœurs des pays où il se trouve. Croirait-on qu’il y a dans le collège une salle de lecture ou les élèves vont librement et où ils trouvent tous les journaux, à la fois ceux de chasse de pêche, les magasins illustrés et les grands organes politiques du pays, républicains ou démocrates? Je ne m’imagine pas pareille salle en France dans un lycée de l’état ou dans une institution particulière. Mais il est vrai que cette liberté n’est possible qu’avec une presse exclusivement politique comme la presse américaine. A côte du collège des jésuites, il y a un couvent du Sacré-Cœur, qui compte une succursale à Washington même. Beaucoup de jeunes filles catholiques y sont élevées, et c’est même depuis quelque temps la fashion d’y envoyer quelques jeunes filles protestantes de la bonne société.

Le cimetière de Georgetown, qui est assez proche du collège des jésuites est un des sites les plus intéressans aux environs de Washington. Chose singulière! ce peuple si positif, si pratique, qui ne perd point de temps en vaines rêveries, semble avoir reporté sur le soin de ses cimetières toute la sentimentalité dont il est capable. Il environne ses morts de respect et de poésie et il appelle à son aide, pour leur faire honneur, les beautés que lui prête la nature, là où il ne l’a point sacrifiée à la civilisation. Le cimetière de Greenwood, d’où l’on domine la mer, passe pour un des beaux endroit qu’on puisse visiter aux environs de New-York. J’ai déjà parlé de celui d’Arlington. Celui de Georgetown ne leur cède en rien; c’est une futaie de chênes séculaires, d’une beauté et d’une taille qu’en Amérique il est rare de voir atteindre aux arbres, car auparavant on en fait généralement de la charpente. Les tombes en marbre blanc et d’un style assez pur n’y sont point alignées en rangs serrés, mais dispersées au hasard sous les arbres, à distance assez grande les unes des autres. Il en est peu qui ne soient pas environnées de fleurs; on dirait un grand parc où reposerait depuis plusieurs générations une seule famille, et qui serait soigneusement entretenu par la piété de ses descendans. Au lieu d’appeler cet endroit Oak-Hill, le mont des chênes, on pourrait l’appeler, comme la France du XVIIIe siècle n’eût pas manqué de le faire, le bois des tombeaux. Peut-être faut-il voir dans le respect avec lequel on a conservé ces arbres un souvenir de la tradition indienne qui enterrait le guerrier ou le chasseur avec son arc et ses flèches, à l’ombre de la forêt où il avait vécu. J’ai toujours trouvé, je ne sais pourquoi, un singulier plaisir à ces promenades