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comédie de l’insanité. Son système de défense consistait en grande partie à prétendre que ce n’était pas lui qui était cause de la mort de Garfield, mais les médecins, dont l’impéritie avait causé la mort de leur patient. Molière n’eût pas mieux trouvé, et si Guiteau avait pu établir ce point, d’après le droit pénal américain, cela aurait sauvé au moins sa tête. Ce qui est plus étrange encore que son attitude aux débats, c’est le régime auquel il était soumis dans sa prison. Non-seulement il y pouvait se faire remettre tous les journaux qui rendaient compte de son procès et donner à son exécrable vanité l’aliment quotidien de leur lecture, mais il y recevait qui bon lui semblait et avait à son gré de longs entretiens avec les reporters de différens journaux. Les dimanches, on venait même le voir à travers la fenêtre grillée de sa cellule comme une bête curieuse et cette exhibition le flattait beaucoup. Rien n’a été évité de ce qui pourrait tenter les imitateurs par l’appât d’une célébrité malsaine. De tous les épisodes de sa vie de prison, le plus piquant a été celui d’une visite que lui a faite sa première femme, d’avec laquelle il avait divorcé. Elle avait demandé à être entendue au procès pour le charger ; puis à l’audience, prise sans doute de compassion, elle avait rendu, au contraire, assez bon compte de lui. À la suite de cette déposition, elle était venue le voir dans la prison avec son nouveau mari, et ce singulier trio avait causé fort amicalement.

Les conversations politiques et la lecture du procès de Guiteau n’ont pas occupé tout notre temps à Washington. Nous avons fait encore quelques courses dans les environs, une entre autres à Annapolis, l’école de marine américaine, installée sur le même plan que West-Point, au bord de la Chesapeake et non moins bien entendue. Les futurs officiers de marine y jouissent d’un régime dont la douceur et surtout le luxe doivent ensuite leur faire trouver singulièrement dure la vie du bord. Nous faisons cette observation et l’on nous répond que beaucoup (ceux entre autres qui viennent du Far-West) arrivent de leur famille tellement rustres et peu dégrossis qu’il faut commencer par leur faire apprendre la manière de vivre d’un gentleman. Une autre course nous conduit à un second collège de jésuites et à un second cimetière. Le collège de jésuites de Georgetown est un des plus anciens parmi les douze que l’ordre possède actuellement aux États-Unis, mais ce n’est pas un des plus considérables. Il ne peut contenir que trois cents élèves, tandis que celui de Santa-Chiara, près de San-Francisco, en contient douze cents. Sur ces trois cents élèves, il y en a quarante de protestans, bien que les parens aient été prévenus qu’ils ne seraient dispensés d’aucun des exercices de la maison et qu’ils seraient tenus d’assister aux offices et instructions religieuses. J’imagine que ces parens doivent être