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et comme c’est simplement une manière vive et comique de caractériser une situation, je crois pouvoir rapporter ici la légende de celles qui m’ont paru les plus spirituelles sans manquer de respect au chef suprême d’un pays où nous avons reçu si bon accueil. Le président Arthur s’était heurté d’abord à quelques refus lorsqu’il a voulu former un nouveau cabinet. L’une de ces caricatures représente le général Grant venant lui rendre visite en compagnie de quelques personnages qui portent des portefeuilles sous le bras. « Ne vous troublez pas de ces refus, Arthur, mon garçon, dit Grant au président; si vous ne trouvez pas de ministres, j’en aurai à vous procurer. » Et il lui présente les principaux fonctionnaires de son ancienne administration portant inscrit sur leur portefeuille le chiffre de la somme qu’ils ont été convaincus d’avoir volée. L’autre, plus piquante encore pour le général Grant, le représente se promenant fiévreusement dans le cabinet du président Arthur, tandis que celui-ci est tranquillement assis dans son fauteuil, le cigare aux lèvres, avec cet air de dignité froide qui lui est habituel. La légende est intitulée : un Malentendu, et voici les propos qu’ils échangent :

GRANT. — Arthur, mon garçon, ne croyez-vous pas qu’il serait temps de commencer à nous occuper du troisième terme?

ARTHUR. — Je vous remercie, général, mais c’est à peine si je commence mon premier. Il sera temps quand j’arriverai à la fin du second.

Pendant que nous étions aux États-Unis, le président Arthur a donné une première preuve de sagesse et d’habileté en prenant le temps de la réflexion, en ne précipitant aucune de ses déterminations, en un mot en sachant attendre. Depuis deux mois, m’ont écrit de très bons juges, il a fait preuve de beaucoup de discernement dans le choix de ses collaborateurs. Il a su faire pour ses anciens amis ce qu’il ne pouvait pas décemment leur refuser, tout en ne donnant à personne l’idée qu’il dût être un instrument passif entre les mains du général Grant. Ce n’est pas sans un certain sentiment d’anxiété qu’on l’avait vu arriver aux affaires. « Quels hommes allons-nous avoir? » se demandait-onde tous côtés, et l’on craignait que ce ne fussent les hommes de Grant, À cette anxiété la confiance commence à succéder, et s’il parvient, comme tout donne à le croire, à maintenir les États-Unis dans la voie d’honnête réaction où Hayes s’était timidement engagé, où Garfield semblait devoir marcher plus résolument, il aura rendu à ses concitoyens un service dont ceux-ci devront lui savoir d’autant plus de gré que la tâche était plus difficile à lui qu’à tout autre.

On peut penser si, dans leur polémique ardente contre les républicains,