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pénétré l’humanité, que, soumis ou rebelles, nous ne parvenons pas à lui échapper. M. Renan a essayé de les satisfaire. Voilà pour quels lecteurs il écrit, et ce qu’il a voulu faire en écrivant.

A-t-il tout à fait réussi dans son dessein ? Il nous dit lui-même que non ; il reconnaît de très bonne grâce que les résultats auxquels l’ont conduit ses études sont souvent fort douteux. Dès que le progrès du christianisme, pendant les deux premiers siècles, cesse d’être un fait divin, il devient un événement fort obscur ; quand on n’accepte pas aveuglément, et sans y rien changer, les récits des livres saints ou des pères de l’église, on se trouve amené à les remplacer presque partout par des hypothèses. A la rigueur, on prend son parti de ces conjectures amoncelées, quand on a réfléchi sur les conditions de l’histoire, quand on sait combien il est difficile de découvrir la vérité avec des documens incertains et à travers la floraison de légendes qui la recouvre. Mais la masse des lecteurs, qui aime les affirmations précises, éprouvera peut-être quelque impatience d’en trouver si peu dans l’ouvrage de M. Renan. Les croyans surtout ne seront pas tentés de quitter un terrain qui leur semble solide pour suivre un auteur qui leur montre si souvent au bout de la route un point d’interrogation. On peut donc dire, sans faire de paradoxe, que l’Histoire des origines du christianisme, loin d’ébranler leur foi, est plutôt de nature à la raffermir, et je concevrais qu’un apologiste chrétien eh tirât de nos jours à peu près le même profit que Tertullien ou Lactance des Antiquités divines de Varron. On sait qu’ils se servaient de l’ouvrage où l’illustre érudit avait exposé avec tant de bonne foi toutes les fables de la religion romaine pour en montrer le ridicule ou l’immoralité ; de même, M. Renan n’ayant pas cru devoir dissimuler que, sur les événemens les plus importans de l’histoire des origines chrétiennes les savans de son école sont en désaccord, qu’il a lui-même changé plusieurs fois d’avis, que l’opinion à laquelle il s’arrête est loin de lui paraître tout à fait sûre, et qu’il est souvent tenté de dire, comme Quinte Curce, à propos des faits qu’il rapporte : Equidem plura transcribo quam credo, un apologiste pourrait aisément triompher de toutes ces incertitudes. « Voilà donc, dirait-il, le dernier mot de cette critique si vantée ! C’est ainsi qu’en soulevant un seul doute on s’expose à douter toujours. Ne vaut-il pas mieux faire comme ceux qui nous ont précédés, et accepter la tradition, que de se condamner à ne pouvoir rien édifier de solide ? N’est-il pas vraiment plus simple de croire ? »

Ce raisonnement paraîtra peut-être sans réplique aux gens qui sont déjà convaincus, mais je ne pense pas qu’il soit de nature à convaincre les autres. Ceux-là n’ignorent pas qu’en effet il est cent