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tout le monde (ou du moins presque tout le monde) a des idées saines sur la constitution des sociétés, et tout le monde est accoutumé à des institutions que plus d’un radical n’oserait peut-être même pas mettre en pratique chez nous. Enfin, ce qui vaut mieux, tout le monde est libéral, car personne n’a l’idée de refuser la liberté à ses adversaires politiques, après l’avoir réclamée pour soi-même et s’en être fait un panache.

Quant à la question sociale, elle est à peine née. Sans doute, il y a dans certains endroits, et je le montrerai plus tard, beaucoup de misère. Sans doute, il peut y avoir dans d’autres endroits des grèves et des difficultés industrielles. Pour conjurer ces difficultés et pour combattre les progrès du socialisme, les Américains qui réfléchissent aux problèmes de l’avenir comptent beaucoup sur la diffusion de l’instruction populaire. Ils pourraient bien se faire là-dessus quelques illusions. Mais tant que la main-d’œuvre sera plus difficile à se procurer que la besogne et tant que les cultivateurs seront plus rares que les terres, c’est-à-dire pendant des années, peut-être des siècles encore, je ne crois pas, malgré les prédictions pessimistes, qu’il y ait des périls bien sérieux à prévoir de ce côté.

Si cette division des partis entre républicains et démocrates est connue de tout le monde, il n’en est pas de même de celle qui s’est introduite à une date beaucoup plus récente dans le parti républicain lui-même entre statwarts et half-breds, nous dirions les purs et les demi-sang. C’est pour le coup qu’on ne peut l’expliquer sans faire entrer en ligne des questions de personnes. Cette division remonte en principe (la dénomination elle-même est beaucoup plus récente) aux dernières années de la présidence du général Grant. On sait que les dernières années du deuxième terme présidentiel de l’illustre soldat ont été remplies de scandales financiers auxquels, je veux le croire, il est demeuré personnellement étranger, mais qui n’en ont pas moins jeté un jour fâcheux sur les procédés du haut personnel politique employé par lui. Plusieurs de ses ministres ont été formellement accusés et convaincus de concussion, en même temps que des actes d’arbitraire et de brutalité signalaient la politique suivie par lui vis-à-vis du Sud. Ces résultats fâcheux de ses deux termes de présidence n’empêchèrent cependant pas le général Grant de poser ouvertement sa candidature pour un troisième terme, et on peut se souvenir encore des violentes polémiques auxquelles cette prétention impériale, ouvertement contraire à la règle constitutionnelle, posée par Washington, donna lieu aux États-Unis, et des sombres prédictions qui retentirent en France, prédictions dans lesquelles on déclarait l’Amérique à la veille de devenir une grande démocratie césarienne. Il se passa alors un fait assez curieux : le parti républicain se divisa en deux fractions et entra en lutte avec