Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/785

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

subsistait encore, la question des droits des états avait une singulière importance. Aussi le parti démocratique avait-il la majorité dans tous les états du Sud, et les partisans qu’il comptait dans les états du Nord étaient désignés sous le nom de peace democrats ou de war democrats, suivant qu’ils étaient ou non partisans d’un appel à la force pour maintenir l’Union. L’état des partis en Amérique au moment de la guerre a été décrit d’une façon plus brillante peut-être qu’impartiale par mon pauvre camarade, Ernest Duvergier de Hauranne, si prématurément enlevé, et ses lettres sur l’Amérique n’ont certainement été oubliées de personne. Mais depuis son voyage les choses ont singulièrement changé de face, et entre républicains et démocrates, il n’y a plus guère aujourd’hui de différences bien profondes. Quelques personnes pensent même en Amérique que ces dénominations ont fait leur temps et qu’il suffirait d’une question nouvelle de quelque importance pour amener aussi un classement nouveau des partis. Cependant on peut retrouver encore au fond de ces divisions une conception différente des meilleurs moyens politiques de maintenir l’Union dans les temps à venir et de réaliser ce programme difficile qui est presque une gageure : conserver sous l’autorité d’un même gouvernement central un territoire qui s’étend depuis le Canada jusqu’au Mexique et depuis l’Atlantique jusqu’au Pacifique. Les républicains (j’entends ceux qui s’élèvent à une certaine hauteur de vues) pensent que c’est en fortifiant autant que possible les pouvoirs du gouvernement fédéral ; les démocrates soutiennent que c’est en laissant la plus grande somme possible d’indépendance aux états. C’est là une question sur laquelle on peut disputer à perte de vue, et j’avoue humblement que je n’ai point d’avis là-dessus.

Ce qu’il faut avant tout éviter, si on veut comprendre quelque chose au classement des partis en Amérique, c’est d’attribuer aux mots le sens que nous leur attribuons, et de chercher à retrouver nos divisions dans les leurs. Non-seulement en Amérique tout le monde est républicain et démocrate dans l’acception que nous donnons à ces mots, mais ce qu’on appellerait en Angleterre les tories et les whigs, ce que nous appelons les conservateurs et les radicaux, sont répartis en quantité à peu près égale suivant les régions, entre les deux partis républicain et démocrate. Dans le Nord, presque toutes les vieilles familles appartiennent au parti républicain ; la basse classe des villes, composée en partie d’Irlandais, appartient au parti démocratique. Dans le Sud, c’est le contraire : les vieilles familles appartiennent au parti démocratique, et le parti républicain a recruté au contraire ce qu’il y a de moins relevé dans la population. A un autre point de vue, tout le monde en Amérique, ou du moins presque tout le monde, est à fois conservateur et radical, car