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traitemens qui allaient jusqu’à l’assassinat. Ce triste état de choses a été raconté avec beaucoup de force dans un roman qui n’est en réalité qu’une autobiographie et qui a fait il y a quelques années beaucoup de bruit aux États-Unis : « Fool’s errand, by one of the fools (l’Entreprise d’un fou racontée par un des fous). Ce petit livre, très dramatique, est d’autant plus curieux à lire qu’écrit par un homme du Nord, on y trouve une âpre censure de la conduite du Nord, auquel l’auteur reproche d’avoir abandonné en proie à d’indignes traitemens ceux qui étaient venus honnêtement dans le Sud, après la guerre, donner l’exemple de l’activité, du travail et des bons traitemens vis-à-vis des nègres. Il aurait pu ajouter que, dans d’autres circonstances, le gouvernement qui siégeait à Washington a mis au contraire sa force au service de ceux de ses partisans qui méritaient le moins d’intérêt. C’est ainsi que le général Grant, alors qu’il était président, a envoyé les troupes fédérales soutenir dans la Louisiane l’autorité d’un drôle nommé Kellog, contre la tyrannie duquel s’était légitimement insurgée la meilleure partie de la population. Mais ce déplorable état de choses a commencé à prendre fin en même temps que l’administration du général Grant, et l’un des premiers actes de son successeur, le président Hayes, a été de rappeler les troupes fédérales de la Louisiane, inaugurant ainsi vis-à-vis des états du Sud une politique plus honnête et plus équitable. Puis, peu à peu, une révolution s’est opérée dans les esprits. Les anciens propriétaires d’esclaves ont compris qu’au lieu d’exercer des mauvais traitemens contre les nègres, ils feraient mieux d’essayer de se les concilier et de reprendre influence sur eux. Cela leur a été d’autant moins difficile que ceux-ci n’avaient guère à se louer de leurs amis les carpet-baggers, par lesquels ils avaient été singulièrement exploités. Peu à peu la paix sociale et politique s’est rétablie dans l’intérieur des états du Sud, et le résultat de cette paix a été que, les nègres s’étant mis à voter sous l’influence des blancs, les membres du parti démocrate, c’est-à-dire de l’ancien parti séparatiste, mais ayant sincèrement renoncé à toute pensée de séparation, sont revenus au pouvoir dans presque tous les états du Sud. Aujourd’hui c’est l’aristocratie blanche qui y gouverne, en partie du moins, et les choses n’en vont pas plus mal ; au contraire.

Ce qui a singulièrement aidé au rétablissement de la paix sociale, c’est qu’à une période de véritable détresse a succédé depuis quelques années, dans le Sud, une période d’aisance croissante. Les anciens planteurs, au lieu de se draper fièrement dans leur pauvreté en attribuant leur ruine à la guerre, tandis que, pour beaucoup d’entre eux, la gêne avait commencé bien avant, les anciens planteurs, dis-je, ont fini par se remettre courageusement à l’ouvrage en s’occupant un peu plus directement de leurs affaires